Première séance du mercredi 15 septembre 2010
Motion de renvoi en commission
(…)
M. le président. J’ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq. Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, monsieur le président de l’Association des maires de France, mes chers collègues, je veux d’abord, au nom de tous les élus communistes et républicains, élever une protestation solennelle contre le calendrier retenu pour l’examen de ce projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
En effet, la commission des lois s’est réunie à la hâte mercredi dernier. Elle a entièrement détruit le travail accompli au Sénat sur ce projet de loi et, aujourd’hui, nous examinons un texte qui n’a rien à voir avec celui qui était issu de la chambre haute.
M. Dominique Perben, rapporteur. L’Assemblée est souveraine !
M. Jean-Paul Lecoq. Or le texte de la commission n’a été disponible que vendredi, et la date limite de dépôt des amendements était fixée à samedi, soit le lendemain, le tout en plein examen de la réforme des retraites ! Ces délais ne permettent pas un travail parlementaire sérieux. Pour un texte de l’importance de cette réforme, qui suscite tant d’inquiétudes sur le terrain, dans nos territoires, auprès des élus et des citoyens, cet examen à la va-vite, immédiatement après la réforme des retraites, n’est pas acceptable.
Face aux inquiétudes et à l’hostilité des élus et des acteurs de la vie locale, le Sénat avait, à juste titre, profondément réécrit le texte et en avait retiré les dispositions les plus scélérates. Or, en méprisant le travail accompli, la majorité UMP de l’Assemblée nationale contribue elle aussi à dégrader les termes du débat et à faire passer en catimini un projet de loi amené à bouleverser – il faut le dire et le répéter – notre architecture territoriale.
Ce n’est pas un hasard si la droite est divisée à propos de ce texte. L’ancien Premier ministre M. Raffarin en a d’ailleurs tiré les conséquences, en jugeant qu’une réforme des collectivités « avec une position hostile du Sénat » serait « fragilisée ».
L’Assemblée nationale, au vu du texte réécrit par sa commission des lois, se dirige vers l’adoption d’un projet dont les orientations seront diamétralement contraires à celles défendues par le Sénat. Or – faut-il le rappeler ? – le Sénat est la voix des territoires. Aux termes de l’article 24 de la Constitution, il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Que dire d’un projet de loi réorganisant complètement la démocratie locale et les collectivités alors que le Sénat, représentant constitutionnel de ces dernières, s’oppose à ses principales orientations ?
Qui soutient cette réforme, en dehors d’une poignée de députés ultralibéraux capables de voter les yeux fermés tout projet de loi estampillé sarkozyste et pourfendant les services publics ? En effet, si les sénateurs ne goûtent manifestement que très peu les orientations imposées par Dominique Perben et le groupe UMP de l’Assemblée nationale, il en est de même des élus locaux. Leur inquiétude est patente. Ils ne soutiennent pas ce texte qui les prive d’une partie de leur pouvoir, après que la suppression de la taxe professionnelle les a privés de l’autonomie fiscale.
Quant aux citoyens, toujours en demande de services publics, d’institutions capables de répondre à leurs attentes et de dynamiser leurs territoires, ils n’ont jamais été demandeurs de cette réforme. Pas plus que les associations locales, qui ne cessent de faire remonter, de partout, leur très vive inquiétude au sujet de la nouvelle répartition des compétences entre collectivités territoriales, ou encore au sujet de l’interdiction des financements croisés.
Enfin, les partisans de cette réforme ne pourront pas non plus compter sur le soutien des agents de la fonction publique territoriale. Ces derniers, qui ont permis dans bien des territoires de prendre le relais de l’État défaillant dans la lutte contre la précarité, ont bien compris qu’ils étaient la principale cible du texte. De fusions de services en mutualisations, de regroupements de communes en regroupements de départements et de régions, chacun a parfaitement saisi que l’enjeu numéro un du projet était l’application de la révision générale des politiques publiques aux collectivités territoriales.
Cela trahit l’axe idéologique de cette réforme, car ce texte est travaillé, de façon obsessionnelle, par le néolibéralisme. Je vais, devant vous, en faire la démonstration.
La création des fameux, et fumeux, conseillers territoriaux vise prétendument à réduire les dépenses de nos collectivités. En réalité, il s’agit surtout d’affaiblir l’action publique dans les territoires ; de remplacer les services publics par des opérateurs privés partout où c’est possible ; d’éloigner les élus des citoyens, pour que les revendications de ces derniers ne remontent plus, et que l’action des élus n’ait plus d’impact sur la vie des citoyens. De cette façon, ce sont les grandes entreprises qui prennent le relais de l’action locale, ces mêmes entreprises qui sont dirigées par des amis du pouvoir et dont les profits vont continuer à grossir grâce à ce texte.
Si toute la droite a voté pour la création des conseillers territoriaux, cette unité de façade n’a pas duré bien longtemps. Quel mode de scrutin retenir ? Quelle circonscription d’élection choisir ? Dès que ces questions sont posées, les désaccords sont légions, et le texte est modifié de fond en comble à chaque nouvel examen. C’est dire le manque de sérieux et l’impréparation de cette réforme. C’est dire aussi l’insuffisance de la consultation des élus et des citoyens.
Le conseiller territorial sera un élu cumulant deux fonctions. Ce sera moins d’élus pour la République, donc, naturellement, moins de proximité. Ce sera aussi plus de travail pour les élus, qui devront être aidés par des suppléants chargés de les représenter partout où ils ne pourront pas être, et ce sans indemnisation. Ce sera, en somme, la pagaille institutionnelle là où les institutions actuelles fonctionnent de façon globalement satisfaisante.
Bien entendu, dans sa volonté de réduire le pouvoir et les marges de manœuvre budgétaires des élus locaux, la droite n’a pas profité de la création de ce nouveau mandat pour faire progresser la parité ou le pluralisme. Elle a choisi, tout au contraire, de les faire régresser. C’est peut-être la raison pour laquelle il y a si peu de femmes aujourd’hui dans notre hémicycle.
Ainsi, comme nous l’avons souligné à de nombreuses reprises lors de la première lecture, ce projet de loi marque une régression sans précédent dans l’application du principe constitutionnel de parité, qui veut que « la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Le choix d’un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours aura pour résultat, selon l’Observatoire de la parité auprès du Premier ministre, que les hémicycles territoriaux ne compteront plus que 17 % de femmes ! Faut-il rappeler qu’elles constituent aujourd’hui, grâce au mode de scrutin, la moitié des effectifs des conseils régionaux ? Sur ce terrain comme sur les autres, le recul que vous vous apprêtez à faire subir à la démocratie locale est sans précédent.
Or ce projet de loi marque aussi une régression pour le pluralisme dans notre démocratie. Non seulement le mode de scrutin uninominal favorise le bipartisme étroit tel qu’il existe dans les pays anglo-saxons, mais, pire encore, avec l’article 1er B et le relèvement des seuils de participation au second tour, ce texte procède à un affaiblissement mécanique et organisé du pluralisme. Ce relèvement des seuils de qualification au second tour de 10 % à 12,5 % ne correspond d’ailleurs qu’à des calculs électoralistes, puisqu’il s’agit pour l’UMP de se débarrasser de la concurrence gênante du Front national.
Je souhaite à présent aborder la création des métropoles et des pôles métropolitains, car elle est, elle aussi, profondément imprégnée de néolibéralisme.
Que sont en effet les métropoles si ce n’est des agglomérations déjà développées, des pôles de compétitivité déjà riches, où l’activité économique est déjà concentrée ? En dotant ces nouvelles formes d’EPCI de bonus fiscaux et d’incitations financières, le texte de loi rend l’aménagement du territoire particulièrement inégalitaire, puisque l’argent va à l’argent.
Ce projet de loi ne se préoccupe nullement des territoires relégués, pauvres, enclavés, terreau des discriminations. Il ne dit rien des territoires ruraux, en voie de désertification et d’abandon par l’État. En revanche, dès qu’il s’agit de créer de vastes zones urbaines de concentration des investissements et des capitaux, là le Gouvernement sait innover.
Avec cette logique de polarisation économique, déjà à l’œuvre dans le chantier du Grand Paris, c’est bien le néolibéralisme le plus pur qui s’exprime. Il s’agit, en quelque sorte, de la « théorie du ruissellement », selon laquelle la création de pôles à forte concentration capitalistique finira par rejaillir positivement sur les zones pauvres qui en sont la périphérie. Nous pensons exactement le contraire : c’est seulement en concentrant les efforts sur les territoires relégués qu’un développement égalitaire du territoire pourra enfin avoir lieu.
C’est du reste la même « ragougnasse » néolibérale qui prévaut à l’article 8 du projet de loi, portant création des communes nouvelles, Il s’agit, une fois de plus, de polariser. Les petites communes, les communes rurales, celles qui représentent nos fameuses 36 000 communes, ce réseau unique qui permet à la République de s’enraciner dans chaque parcelle du territoire, seraient trop nombreuses. Là où nous, communistes, voyons un atout considérable, la droite et M. le rapporteur perçoivent un fardeau, baptisé « problème de l’émiettement communal ». Or, chers collègues, un maillage communal intégral du territoire, c’est ce qui permet la constitution d’une terre commune ; c’est ce qui permet que, dans nos territoires, l’humain passe avant le reste ; c’est aussi et surtout ce qui permet la proximité.
Mme Maryse Joissains-Masini. Eh oui !
M. Jean-Paul Lecoq. La logique des communes nouvelles, c’est, à l’inverse, la fusion des petites communes au sein d’ensembles urbains plus vastes. Perdus dans ces entités bureaucratiques, nos villages et nos villes seront bien entendu totalement dépourvus de pouvoir et d’autonomie financière. Ici encore, le projet de loi fabrique de l’éloignement, de la distance entre citoyens et élus. Tout se passe comme si l’objectif de la droite était que les territoires et les communes ne puissent plus se vivre à échelle humaine mais seulement de façon impersonnelle. En effet l’affaiblissement général de la démocratie locale laissera la place libre au secteur privé et à la marchandisation, conformément aux vœux du MEDEF.
Par une manœuvre particulièrement basse, la commission des lois, à l’initiative de son rapporteur, a d’ailleurs introduit un dispositif de création des communes nouvelles qui ne correspond pas à celui voté en première lecture par l’Assemblée. Je veux le rappeler ici : aux termes de très longs débats, la représentation nationale avait voté, à l’unanimité ou presque, des amendements, présentés notamment par M. Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, visant à requérir l’unanimité des conseils municipaux des communes concernées par une procédure de fusion au sein d’une commune nouvelle. Ce garde-fou a été supprimé du présent texte.
Dans l’état actuel du texte, si une petite commune ne souhaite pas être engloutie par une voisine plus vaste, elle ne pourra pas s’y opposer. En effet, la procédure de consultation de la population, désormais prévue si les conseils municipaux ne sont pas unanimes, se fait à l’échelle du périmètre tout entier du projet de commune nouvelle. Cela signifie qu’une petite commune, avec toute sa population, accotée à une commune démographiquement plus massive, est quasiment assurée d’être dépossédée de tout pouvoir lors de cette consultation. Dans ce dispositif profondément injuste, inégalitaire et antidémocratique, les petits villages et les communes moins peuplées sont à la merci des agglomérations les plus peuplées. Quand jacques Pélissard intervient sur cette question, c’est au nom du congrès des maires de France, au nom des maires de France eux-mêmes, et parce qu’il les a écoutés.
Le seul cas où une commune pourra sauver sa peau est celui où toutes les communes concernées par le projet de fusion ne seraient pas membres d’un même EPCI. Or ces cas de figure sont amenés à disparaître puisque le projet de loi organise par ailleurs la rationalisation par le préfet – et au pas de charge s’il vous plaît ! – de la carte de l’intercommunalité. Les schémas départementaux de coopération intercommunale auront déjà redessiné les périmètres des EPCI dont les communes sont fusionnables pour que toute contestation soit impossible. Si dix, vingt ou cinquante communes souhaitent fusionner en une seule, elles peuvent parfaitement le faire, mais si l’une d’elles ne le souhaite pas, il est normal qu’elle n’y soit pas contrainte.
Ce refus ne bloquerait en rien un processus de fusion qui associerait non plus cinquante communes, mais quarante-neuf. Il s’agit là d’une question de principe. En l’occurrence, c’est le respect des principes de libre administration des collectivités territoriales et de non-tutelle d’une collectivité sur une autre qui sont en jeu. Alors que l’Assemblée avait trouvé sur ce point un terrain d’entente et que le Sénat, pour une fois, y avait souscrit, la commission des lois vient d’effacer d’un trait de plume les heures de débat de juin et de juillet. Cette façon de légiférer est particulièrement sournoise.
J’en viens maintenant à l’article 13 bis du projet de loi.
C’est encore une fois une logique de polarisation qui est à l’œuvre puisqu’il autorise la fusion des départements d’une région au sein d’un ensemble plus vaste. Avec cette innovation radicale, on peut très bien imaginer que quatre ou cinq départements fusionnent avec la région à laquelle ils appartiennent. De cette façon, les économies réalisées seraient substantielles : plus qu’une seule collectivité à la place de cinq, un seul hémicycle et quelques élus pour des millions d’habitants ! Est-ce là votre vision de la démocratie locale ? Cet objectif de disparition des départements par évaporation, est-ce bien le vôtre ? Si c’est le cas, pourquoi ne pas l’assumer haut et fort ? Quoi qu’il en soit, ce n’est assurément pas celui des communistes.
Je profite de l’affirmation de cette divergence politique pour en souligner une autre : les députés communistes, républicains et du Parti de gauche ne sont pas favorables à la procédure d’exception introduite par les articles 18, 29 et 30, qui permet au représentant de l’État dans le département de dessiner lui-même la carte de l’intercommunalité à la hache, en dépit de l’avis des communes ; c’est lui et lui seul qui tracera les périmètres des EPCI.
Que devient, là encore, le principe de libre administration des collectivités territoriales ? Comment les législateurs que nous sommes pourraient-ils autoriser le préfet à rattacher une commune, contre son gré, à un EPCI ? Cette procédure d’exception n’a aucun garde-fou puisque le mécanisme retenu par la formulation actuelle de l’article est particulièrement byzantin. En effet, le rattachement de force d’une commune à un EPCI est subordonné à l’accord de l’organe délibérant de l’EPCI, mais si celui-ci n’est pas d’accord, le préfet mettra tout de même en œuvre le rattachement, « sauf si la commission départementale de coopération intercommunale s’est prononcée, à la majorité des deux tiers de ses membres, en faveur d’un autre projet de rattachement à un EPCI à fiscalité propre limitrophe de la commune concernée ». Scandaleux ! Heureusement que le ridicule ne tue pas !
M. François de Rugy. En effet ! Sinon ce serait une hécatombe !
M. Jean-Paul Lecoq. Aux termes de cette disposition grotesque, la commune n’a pas d’avis à donner, seul celui de l’EPCI est demandé, mais même si son avis est négatif, le préfet pourra passer outre. Autrement dit, l’EPCI n’a que le droit d’être d’accord. Cependant, si la commission départementale de la coopération intercommunale est en désaccord avec le projet de rattachement, elle pourra en proposer un autre à la majorité qualifiée, mais seulement s’il existe un autre EPCI à fiscalité propre limitrophe de la commune. Ce prétendu garde-fou ne concerne donc que les cas rarissimes où la commune isolée se trouverait limitrophe de deux EPCI ! Qui peut prêter son concours à pareille façon de légiférer ? Quid du critère d’intelligibilité de la loi, retenu par le Conseil constitutionnel, et que méconnaît manifestement l’article 18 ?
Pour en revenir au fond, pourquoi les communes ne pourraient-elles pas choisir librement d’entrer dans des processus d’intercommunalité ? Pourquoi ne pas permettre des formes plus souples d’intercommunalisation ? Derrière ces dispositifs, plus autoritaires et caporalistes les uns que les autres, se cache une préfectoralisation…
M. François de Rugy. Eh oui ! Les pleins pouvoirs aux préfets, c’est la doctrine Guéant !
M. Jean-Paul Lecoq. …qui affaiblit, une nouvelle fois, nos collectivités territoriales, et qui, surtout, méprise les élus et les citoyens.
La commission des lois de notre assemblée a aussi réintroduit toute la quincaillerie des articles 34 et 35 que le Sénat avait très utilement supprimée. Nous en arrivons, mes chers collègues, vous l’avez compris, au cœur du sujet.
M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Ah !
M. Jean-Paul Lecoq. Tout d’abord, l’article 34 bis A promeut, dans le droit fil de l’idéologie néolibérale, les « mutualisations de service » entre les collectivités territoriales et leurs EPCI. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
M. Philippe Vitel. Ce n’est pas un gros mot, monsieur Lecoq !
M. Jean-Paul Lecoq. Ces mutualisations n’ont bien évidemment qu’un seul but : raboter les budgets, faire des économies à tous les étages et, surtout, supprimer des postes d’agents de la fonction publique territoriale. En un mot, il s’agit d’appliquer la révision générale des politiques publiques aux collectivités territoriales.
Vous ne voulez pas l’avouer, mais M. Fillon l’a proclamé à de nombreuses reprises. Voici ce qu’il déclarait le 18 septembre 2009 : « Dans le même temps où nous supprimons des emplois publics dans la fonction publique d’État, les collectivités locales recrutent 36 000 fonctionnaires supplémentaires tous les ans. Comment imaginer que ce système puisse continuer ? Moi, je vous le dis, il ne continuera pas. »
Les prétendues mutualisations de service sont donc des dispositifs cache-sexe dont la véritable finalité est bien la réduction de l’emploi public dans nos territoires. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) L’objectif est d’empêcher les collectivités territoriales de compenser le désengagement de l’État central et le délabrement organisé des services publics. En effet si les collectivités prenaient le relais de l’État rendu défaillant par les privatisations, les coupes budgétaires et les libéralisations à tous crins, le secteur marchand et les entreprises privées ne pourraient alors prospérer suffisamment. Il faut donc lier les mains des élus locaux.
Si l’article 34 bis Acrée des conventions de mutualisation de service entre collectivités territoriales et EPCI, l’article 35 bis, lui, institue un schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services de la région et des départements. La frénésie mutualisatrice de M. le rapporteur a encore frappé ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
C’est dans ce type d’articles que le caractère technocratique et bureaucratique de cette réforme apparaît avec le plus d’éclat. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer le rapport : « Cette organisation pragmatique – qualificatif que vous aimez bien, monsieur le rapporteur –…
M. Dominique Perben, rapporteur. C’est la réalité, monsieur Lecoq !
M. Jean-Paul Lecoq. Mais le pragmatisme ne permet pas beaucoup d’innover.
Je reprends : « Cette organisation pragmatique permettrait de tirer pleinement profit des synergies institutionnelles créées entre les départements et les régions grâce à la mise en place, en 2014, des conseillers territoriaux. ». Ainsi, ces schémas seront les bras armés de la fusion programmée des départements et des régions, les uns s’évaporant dans les autres par le truchement des conseillers territoriaux et la mise en commun des services.
Constatons une fois de plus les contradictions dans lesquelles s’empêtre ce texte qui prévoit une séparation radicale des compétences des départements et des régions, mais qui, dans le même temps, les dote d’un élu unique et de services totalement mutualisés. En effet le funeste article 35 est rétabli dans sa rédaction issue de la première lecture à l’Assemblée.
M. François Sauvadet. C’est normal !
M. Jean-Paul Lecoq. Il signe la fin de la clause de compétence générale des départements et des régions, clause qui est le pivot de notre république décentralisée. Alors que les sénateurs avaient retenu le principe d’une loi future permettant, éventuellement,…
M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur. Les sénateurs ont l’éternité devant eux ! (Sourires.)
M. Jean-Paul Lecoq. …les consultations et les ajustements nécessaires, le rapporteur et le Gouvernement en reviennent à la rédaction qui met fin à l’organisation de l’action publique locale telle qu’elle existe dans notre pays depuis des années avec d’excellents résultats.
De plus, l’article 35 incite régions et départements à passer des conventions de compétences. Cette mutualisation déguisée est un assaut de plus en direction de la fusion des départements et des régions. Les associations de terrain et les acteurs de la vie locale sont très mobilisés contre ce nouveau saucissonnage des compétences. Ils ne comprennent pas que, en dépit de la situation d’urgence qui découle mécaniquement de la crise, la droite choisisse de lier les mains des collectivités aussi bien sur le plan financier qu’institutionnel. Ils réclament au contraire une action conjointe et encore plus nourrie des collectivités territoriales, notamment pour continuer à compenser les incuries de l’État-Sarkozy, dépecé par la RGPP.
À ce titre, je tiens à rappeler que nos collègues sénateurs, en seconde lecture, avaient adopté un amendement déposé par le groupe communiste, et qui proclamait que « la compétence générale est un principe fondateur de la libre administration des collectivités territoriales ». Le Gouvernement, par la voix du secrétaire d’État Alain Marleix, a réclamé à corps et à cris la suppression de cette mention en seconde délibération, faisant par là une démonstration limpide que son projet de réforme est dirigé tout à la fois contre la clause de compétence générale et contre la libre administration des collectivités territoriales.
Quant à nous, nous avons déposé plus d’une dizaine d’amendements pour élargir le champ des compétences qui demeureront partagées. Ce sont en effet les députés communistes qui, en première lecture, avaient obtenu que le tourisme demeure une compétence partagée. Cette revendication émanait de tous les bancs et de tous les territoires, ce qui prouve l’utilité et l’importance de la clause de compétence générale. Or ces amendements validées en première lecture ont été retoqués : pourquoi le couperet de l’article 40 est-il tombé en seconde lecture et pas en première, alors qu’il s’agit des mêmes amendements, à la virgule près ? Son application se ferait-elle à géométrie variable, en fonction des circonstances politiques ? Décidemment, la première des mesures qui revaloriserait réellement le rôle du Parlement serait la suppression de l’article 40 de la Constitution.
M. François de Rugy. C’est sûr !
M. Jean-Paul Lecoq. Je rappelle que les députés communistes, républicains et du parti de gauche avaient proposé d’ajouter, parmi les compétences partagées, en plus du tourisme, de la culture et du sport, les compétences en matière d’action sociale et sanitaire, d’aménagement du territoire et d’équipements locaux, de jeunesse, de traitement des déchets, d’eau et d’assainissement, d’enseignement, d’environnement, de formation professionnelle et d’apprentissage, de logement et d’habitat, de transports. Vous le voyez, les chantiers sont multiples, et ce sont les élus locaux, et les autres acteurs des territoires dans ces différents domaines, qui nous demandent instamment de maintenir la possibilité d’une intervention partagée !
Un tel maintien est d’autant plus important que tout un pan de cette réforme est consacré au démantèlement des syndicats mixtes et des syndicats de communes, ces structures d’intercommunalité souples qui permettent à tant de communes de maintenir un haut niveau de service public, entre autres pour la collecte et le traitement des déchets, pour l’eau et l’assainissement, pour les transports scolaires. Ces outils de proximité sont pourtant très utilisés par les communes : depuis 1999, alors que nous étions déjà dans le renforcement des intercommunalités à travers la loi Chevènement, le nombre de syndicats mixtes a plus que doublé, passant de 1 454 à 3 161, ce qui montre leur utilité.
En fait la limitation drastique de ces outils répond à un objectif bien précis de votre part : libérer des parts de marché pour les grandes entreprises privées dans les domaines de la collecte et de l’assainissement. Je ne citerai pas de noms, vous les connaissez ! Peut-être sont-ce vos amis ? Empêcher la création de syndicats, c’est mécaniquement permettre la marchandisation, c’est-à-dire le remplacement pur et simple de la gestion publique et municipalisée par la gestion privée, marchande et lucrative.
Votre texte de loi ne se contente pas d’interdire une action transversale des communes, des départements et des régions : l’article 35 ter introduit l’obligation pour la collectivité territoriale maître d’ouvrage d’un projet d’assurer une participation financière minimale.
Là encore, le Gouvernement récite son credo néolibéral : toutes les communes, y compris les plus petits villages, devront fournir au minimum 20 % des financements des projets, même d’importance départementale ou régionale.
M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. Comme maintenant !
M. Jean-Paul Lecoq. Autant dire qu’elles ne pourront plus lancer le moindre projet d’envergure.
Cette volonté de mettre fin à l’autonomie financière de nos communes et de raboter le volume de leurs investissements apparaît avec clarté aux élus locaux, ainsi que le mépris dans lequel vous les tenez. Vous les considérez comme des gaspilleurs – vous ne cessez de le dire – et des irresponsables. Nous les considérons comme des hussards de la République.
Les Français, d’ailleurs, ne s’y trompent pas, qui désignent le maire comme leur élu préféré. Ils plébiscitent le maire, cette proximité que vous combattez à toute force en créant les communes nouvelles et en dépossédant les communes de leur autonomie fiscale.
M. Michel Piron. Mais non !
M. Jean-Paul Lecoq. En séparant radicalement les compétences des départements et des régions, vous limitez leurs domaines d’intervention. En interdisant tout cumul de financement des départements et des régions en direction des communes de plus de 3 500 habitants – article 35 quater –, vous amputez leurs marges financières.
Ce projet de loi, tel qu’il est actuellement rédigé, met en place un véritable arsenal contre l’investissement et l’action des collectivités territoriales.
Les sénateurs ne s’y sont pas trompés : ils ont voté unanimement la suppression de tous les articles que je viens de mentionner. Si M. le rapporteur et la commission des lois les ont réintroduits, faisant montre d’un mépris total à l’endroit du travail des sénateurs, nous demandons à nouveau leur suppression.
J’ai donc voulu démontrer que ce texte est une litanie de mesures destinées à réduire la voilure de l’action publique et à substituer des prestations marchandes aux services publics dans tous nos territoires.
C’est un texte qui répond, lui aussi, aux demandes du MEDEF. C’est un texte qui ne confirme pas la décentralisation mais qui confirme la marchandisation. C’est une réforme qui est finalement dans le droit fil de celle des retraites : une réforme néolibérale qui veut faire payer les plus modestes en les privant de l’action publique.
Vous l’avez compris, nous voterons contre ce texte, et nous continuerons d’expliquer à nos concitoyens, sur le terrain, le mauvais coup que ce gouvernement et sa majorité sont en train de leur faire.
Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche, comme les élus de nos territoires, le disent depuis le début de l’examen de ce texte : halte au massacre de nos collectivités !