11-02-2009

Santé, hôpital et territoire

Mardi 3 février 2009 - 16h15

Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, sur le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires

Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

(…) (début des interventions)

M. André Chassaigne. Tout le monde est favorable à l’amélioration de l’accès aux soins et à une meilleure organisation de l’hôpital, mais les réponses apportées sont inopérantes, voire dangereuses.

Votre première réponse est l’entrée plus forte du privé dans les missions de service public. Même si elle s’inscrit dans la continuité du plan Juppé de 1995 et du plan Hôpital 2007, votre conception de l’hôpital-entreprise, d’une marchandisation de la santé s’appuyant sur la tarification à l’activité fait que, au final, les actes chirurgicaux les plus rentables seront réalisés par le privé, et les actes chirurgicaux les plus lourds – et les plus onéreux – maintenus dans le public. D’où des inégalités territoriales, mais aussi sociales.

Votre loi s’appuie par ailleurs sur un autoritarisme renforcé, à travers les responsabilités octroyées aux directeurs des agences générales de santé – qui n’auront de comptes à rendre à quasiment personne –, et à des directeurs d’hôpitaux tout puissants, au détriment des élus, des usagers, de l’assurance maladie et des commissions médicales d’établissement dont le rôle sera amenuisé.

Les insuffisances de votre texte, madame la ministre, appellent de ma part cinq questions.

Pourquoi réduisez-vous la prévention et la santé publique à la lutte contre la vente d’alcool et les cigarettes aromatisées, en faisant l’impasse complète sur la santé au travail et la santé scolaire ?

Pourquoi ne pas avoir – clairement, efficacement – traité la question des dépassements d’honoraires qui, en empêchant de garder des médecins à l’hôpital public, créent des inégalités territoriales et, là aussi, sociales ?

Pourquoi les articles portant sur les sages-femmes, qui figuraient dans la version initiale, ont-ils disparu du projet ?

Pourquoi le texte ne prend-il pas à bras-le-corps la question du recrutement et de la répartition des praticiens sur le territoire, très importante non seulement au regard d’une présence territoriale – je pense en particulier aux médecins généralistes, sur lesquels le rapporteur a posé d’excellentes questions –, mais aussi du maintien de services dans les hôpitaux publics ? Fermer des maternités et des services chirurgicaux au prétexte que le nombre de praticiens y est insuffisant n’est pas la bonne réponse.

Pourquoi votre texte ne prévoit-il pas un véritable maillage territorial, seul à même d’assurer l’équité territoriale, la prévention, l’égalité de diagnostic et de traitement ? La disparition des services d’hôpitaux publics, qui deviennent des coquilles vides s’ils ne sont pas fermés, conduit à orienter les patients vers le privé, avec le risque de conséquences désastreuses sur la santé, notamment dans les territoires les plus isolés. Des propositions ont été faites sur ce thème. M. le rapporteur a parlé d’amendements, j’en déposerai également plusieurs.

Mme la ministre. André Flajolet et André Chassaigne ont évoqué l’attractivité de la médecine générale. Le médecin généraliste étant l’organisateur et le pilote des soins ambulatoires, nous avons voulu rénover profondément la filière universitaire de médecine générale. Vous avez ainsi adopté, le 8 février 2008, un statut universitaire des personnels enseignants titulaires et non titulaires de médecine générale.

(…)

Monsieur Chassaigne, ce projet n’entraîne pas la privatisation de la santé. Au contraire, il réaffirme le rôle de l’État en tant que garant de notre système de santé. Je remarque d’ailleurs qu’on me reproche à la fois, parfois dans une même phrase, de privatiser et d’étatiser !

(…)

Monsieur Chassaigne, selon vous, la transformation d’un service de chirurgie ou de maternité aurait pour but de faire des économies, et il suffirait de décider d’y mettre des médecins et des moyens pour garder ce service tel qu’il est !

M. André Chassaigne. Dans certains cas, oui !

Mme la ministre. Nous sommes confrontés à une ressource médicale d’une grande rareté, étant dans les générations maigres du numerus clausus à 3 500. Je mène une politique active pour porter le numerus clausus, qui est désormais à 7 400, à 8 000 dans les années à venir. Plusieurs années étant nécessaires à l’étudiant en médecine pour se former, nous arriverons à renverser la vapeur entre 2020 et 2025. En attendant, face cette rareté, faire venir des médecins étrangers n’est pas la solution. Certains ont une qualification inférieure à ce que nous attendons ; en milieu rural, les anesthésistes ne sont pas tous réanimateurs ; certains médecins ne parlent pas un mot de français. En outre, prélever des médecins dans des pays qui en ont besoin pose une question éthique. Peut-on se comporter comme des prédateurs ? Peut-on résoudre nos propres difficultés par le pillage des cerveaux ? Je ne le crois pas.

M. André Chassaigne. Vous avez raison !

Mme la ministre. Imaginons maintenant, monsieur Chassaigne, que nous n’ayons aucun problème de financement et que nous ayons des médecins en nombre suffisant. Selon les spécialistes, il faut entre 900 et 1 200 accouchements par an pour assurer la sécurité et la qualité des soins. L’administration sanitaire se pose la question de la fermeture d’un service de maternité à partir de 300 accouchements par an ; bien souvent, nous le fermons à partir de 200. Dans une maternité qui fait 200 accouchements par an, cinq obstétriciens sont nécessaires – théoriquement sept – pour assurer la permanence. Cela signifie qu’un praticien y fait 40 accouchements par an, soit même pas un par semaine ! Monsieur Chassaigne, je n’enverrais jamais ma fille entre les mains d’un accoucheur qui ne fait même pas un accouchement par semaine ! Ce n’est ni une question d’argent, ni une question de plateau technique, mais de sécurité des soins : on ne fait bien que ce qu’on fait souvent ! D’ailleurs, lorsque j’ai décidé de transformer un service de chirurgie ou de maternité en service périnatal de proximité, cela n’a jamais entraîné d’économies, mais l’emploi public a toujours été maintenu !

Pour répondre à la dernière question d’André Chassaigne, si le titre III est consacré à la santé publique – alcool, tabac, cigarettes-bonbons, etc. – il ne résume pas l’ensemble de la politique en la matière. La santé publique et la prévention irriguent l’ensemble du texte. La territorialisation de la santé vise à prendre en compte la santé publique et la prévention. Des politiques tous azimuts ne permettent pas de faire de la prévention, les politiques de prévention ne marchent que si elles sont ciblées, appuyées sur la réalité du terrain. Bien évidemment, la politique menée dans le Nord-Pas-de-Calais ne sera pas la même qu’à Ambert.

(…)

MM. Chassaigne, Paul et Tourtelier ont évoqué la médecine scolaire et la médecine du travail. Ni l’éducation nationale ni l’administration du travail ne souhaitent que ces domaines relèvent du ministère de la santé et cela pose parfois des problèmes de coordination. Mais, précisément, l’Agence régionale de santé sera un outil formidable pour rapprocher des éléments qui, en effet, demeurent pour l’instant trop étanches.

(…) (autres interventions)

Mme la ministre. (…) - Le plan d’urgence prévoit aussi la création de 5 800 postes de médecins ainsi que de postes de personnels paramédicaux et l’ouverture de 7 500 lits et places. A l’heure actuelle, 80 % de nos concitoyens sont à moins de 20 minutes d’un service d’urgence et nous atteindrons 90 % grâce aux moyens que nous engageons.

Le projet prévoit de supprimer l’article du code de la santé publique qui confère des responsabilités propres aux sages-femmes dans l’organisation générale des soins et des actes obstétricaux. Mais cela ne signifie pas, messieurs Chassaigne et Tardy, que l’on nie le rôle des sages-femmes dans les services d’obstétrique, bien au contraire. Il s’agit simplement d’éviter de faire apparaître une double autorité au sein des pôles. Il appartiendra aux responsables des pôles comportant des activités d’obstétrique d’associer les sages-femmes et leurs cadres à l’organisation interne du pôle et de leurs déléguer des responsabilités.

(…) (suite et fin des interventions)

Voir aussi :

Pour en savoir plus : Site de l’AN

Imprimer