Communiqué de presse - 3 novembre 2009
"Notre combat pour ne pas enterrer la ruralité
Ce qu’il faut attendre des assises territoriales et comment y parvenir
Quelques mois après le lancement de notre appel « campagnes de France : grande cause nationale » en décembre 2008, le gouvernement, à la faveur du remaniement ministériel de Juin 2009, accueillait en son sein un nouveau ministère de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, de plein exercice.
Si notre combat a pu en être l’origine, nous nous en félicitons. S’il s’agit d’acheter la paix des campagnes par cette délicatesse institutionnelle, nous n’en serons pas.
Cette question sera bientôt tranchée dans un sens ou un autre. Après quelques mois d’observation, Michel Mercier, titulaire du poste, vient de dévoiler son plan. Organisation pendant 3 mois d’un grand débat national avec « les assises des territoires ruraux… », dialogue avec les élus, bilan des politiques d’aménagement du territoire, nouvelle génération de pôles d’excellence rurale… Nous prenons acte de ces annonces dont l’aspect le plus intéressant est la volonté manifeste d’écoute et de dialogue – à défaut d’une ambition clairement affirmée sur les objectifs et du temps qu’exigerait une vraie concertation citoyenne.
Dans l’espace ainsi ouvert, l’association que nous avons créée entend jouer un rôle central. Elle en a la légitimité, elle qui a vocation à rassembler, comme nos signatures l’attestent, parlementaires et élus de tous les bords, mais qui est aussi ouverte à la « société civile », acteurs des territoires, responsables socio-professionnels, intellectuels, chercheurs, citoyens agissant…
La première proposition que nous faisons au Ministre est de privilégier réellement la voix du terrain et la voie parlementaire à celle de l’administration technocratique ou du projet de loi, peut-être utile mais fourre-tout, comme nous l’avons connu en 2005 avec la loi sur le développement des territoires ruraux. Que le gouvernement s’appuie pour de bon sur les attentes des campagnes et qu’il accompagne un dispositif de proposition de loi susceptible d’être animé et soutenu par tous les groupes politiques du Parlement. Comme à l’occasion de la loi montagne de 1985, le texte, s’il est ambitieux, pourrait être voté à l’unanimité. Car le devenir de la ruralité n’est ni de droite ni de gauche ni du centre mais il exige des politiques publiques fortes.
Le deuxième enjeu est d’avoir le courage de briser les tabous. En commençant par prendre la mesure du désespoir qui ronge nos campagnes profondes. Les agriculteurs ont encore la force de crier mais la majorité des ruraux s’éteint dans le silence effrayant de ces espaces dépeuplés. Certes, il convient maintenant de distinguer dans nos campagnes les anciens des « néo », les « rurbains » des « Indiens » enclavés au fin fond de leurs réserves naturelles. Ces sous-catégories ne sont que des leurres pour dissoudre une prise de conscience globale et éventuellement une action commune.
Nous parlons ici de tous ceux, des villes ou des champs, dont l’identité est intimement liée à ces territoires, aux valeurs qu’ils portent, aux richesses qu’ils apportent, et qui sont solidaires de ce pacte territorial français qui souffre aujourd’hui dans sa chair républicaine. Pour eux, pour nous, les réformes qui se succèdent ont le goût amer d’une relégation. Depuis une vingtaine d’années, malgré l’acharnement à impulser sur les territoires des actions de développement, c’est le cercle vicieux de la baisse démographique entraînant la fermeture des services et des activités qui accélère l’exode, etc.
Ce mouvement, hier honteux et caché, se produit aujourd’hui au grand jour. Externalisation des services territoriaux au nom de la réforme de l’Etat, disparition des services publics et appauvrissement des services à la population au nom de la concurrence, mise sous tutelle des territoires au prétexte de leur bonne conservation écologique et bientôt perte du poids politique dans le pays avec la réforme territoriale qui va renforcer les grands ensembles urbains (agglomération ou métropole) – nous ne sommes plus au stade des menaces mais du testament. A la fin du siècle dernier, on parlait déjà d’ « oser le désert », au début de celui-ci une partie de la France est broyée par la compétition des territoires – elle est devenue tout simplement inutile même si elle représente quand même 70% de notre pays… On a une vision et l’annonce de moyens pour le « Grand Paris » mais les campagnes n’inspirent plus personne depuis longtemps au sommet de l’Etat.
Au-delà du constat, il faudra bien faire face et répondre aux sujets qui fâchent. Par exemple calculer le coût de l’enfrichement de ces milliers d’hectares de nature abandonnée qui flambent l’été et provoquent les inondations des plaines aux premières précipitations. Qui peut nier aujourd’hui que les activités agricoles extensives participent à la prévention des risques, à la préservation des ressources naturelles et à l’aménagement des territoires ? Mais qui aura l’audace de réclamer pour elles un salaire correspondant à ces services universels qui sont largement rémunérés en ville ? La première priorité ne serait-elle pas d’accorder déjà aux agriculteurs un droit au revenu par les prix d’achat de leur production ?
Autre sujet tabou : l’égalité entre les territoires. Qui osera dénoncer les discriminations dont sont victimes les habitants des campagnes par rapport à ceux des villes au regard de l’accès aux services publics bien sûr, mais aussi de l’accès aux soins (déserts médicaux), à l’information (fracture numérique), à la communication (zones blanches), à l’éducation (fermeture des niveaux et classes uniques), à la sécurité (fermeture et regroupement des brigades de gendarmerie), aux transports (enclavement, pas de transports en commun), à la représentation politique (suppression des circonscriptions rurales peu peuplées et demain des cantons), à l’emploi (taux d’emploi plus faibles et taux de chômage plus élevés)… et même aux concours financiers de l’Etat (dotation par habitant plus réduite) ! Notre modèle républicain condamne les « inégalités de traitement » fondées sur le sexe, l’origine, le handicap… Il ne peut non plus tolérer l’existence de citoyens de seconde zone en fonction de leur lieu d’habitation. Nous avons décidé de saisir la HALDE (la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) pour qu’enfin toute la lumière soit faite sur cette rupture territoriale de l’égalité des chances républicaine.
Le processus institutionnel des « assises des territoires ruraux » ne suffira pas à répondre à ces questions et à redonner une chance aux campagnes. Il faut un mouvement beaucoup plus large, porté par la société tout entière. Raymond Lacombe y était parvenu en rassemblant plus de 300 000 personnes avec ses Dimanches des Terres de France. Les paysans américains ont aussi réussi à créer leur réseau de soutien, et même de solidarité, avec Farm Aid lancé en 1985 qui a collecté plus de 35 millions de dollars pour les exploitations familiales grâce aux concerts donnés tous les ans par les artistes à l’origine de l’initiative.
A notre tour d’en appeler au sursaut citoyen, à la mobilisation des artistes, des intellectuels, des sportifs, au dépassement des clivages, à la solidarité des villes et à la prise de conscience des consommateurs pour faire vraiment des campagnes de France une grande cause nationale !"
Pour l’association « Campagnes de France, grande cause nationale » : André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme Jean Lassalle, député des Pyrénées-Atlantiques