André Chassaigne « Une écologie Canada Dry »
André Chassaigne, député PCF du Puy-de-Dôme, accuse le gouvernement d’avoir fait fi des travaux du Grenelle et de ne pas tenir ses engagements.
L’Humanité : Le premier texte dit de « mise en œuvre » du Grenelle de l’environnement vient en débat à l’Assemblée. Est-il à la hauteur des défis écologiques d’aujourd’hui ?
André Chassaigne. Ce projet de loi tient davantage de la rhétorique bien huilée que du texte législatif fondateur. Un texte comme celui-ci se devait de fixer des objectifs chiffrés que les suivants - lois ordinaires et lois de finances - seraient chargés de concrétiser. Or, nous nous retrouvons avec un ensemble de voeux pieux le plus souvent sans financement, parfois sans objectifs précis ni date butoir d’application. Les différentes parties prenantes du Grenelle doivent avoir bien du mal à retrouver le résultat de leurs discussions collectives. Il m’apparaît à cet égard choquant de mettre au travail pendant plusieurs mois des associations, des experts, des représentants du monde du travail pour en trahir le fruit dès le premier texte d’application. Le président de la République avait annoncé dans un discours que l’État serait amené en France à cogérer la protection de l’environnement avec la société civile. Or, dès la première loi de mise en œuvre, l’exécutif prend le chemin inverse, vidant de son contenu les conclusions les plus audacieuses. Quant aux parlementaires, peu associés à la première phase du Grenelle, ils se retrouvent maintenant dans la position d’avaliser ce texte boiteux : il est ainsi révélateur que de très nombreux amendements que j’ai déposés en commission ont été rejetés au nom du fameux article 40, sous le prétexte qu’ils engendraient une dépense supplémentaire de l’État. En définitive, nous nous retrouvons avec une « écologie Canada Dry » : elle a la couleur de l’écologie, le goût de l’écologie mais elle est bien loin de la véritable écologie ! Le gouvernement propose la quadrature du cercle, en cherchant à concilier, sans y parvenir, défense de l’environnement et primat des forces du marché. Le fil rouge est en effet la volonté illusoire de résoudre les problèmes environnementaux sans toucher au système capitaliste et sa recherche obsessionnelle du profit maximum.
L’H : Que pensez-vous de cette proposition de mise en place d’une « fiscalité verte » ?
AC. La philosophie est toujours la même : laisser le capitalisme totalement libre sous le prétexte d’une neutralité économique et d’un coût zéro… et faire payer à la population la note finale. Ainsi, la mesure annoncée puis contestée du bonus-malus, consistant en un plaidoyer séducteur en faveur de la responsabilisation des consommateurs, tient en une vision caricaturale, étriquée et réductionniste des problématiques de consommation. Cela revient à faire peser sur les plus modestes la contribution la plus lourde alors qu’ils sont contraints d’acheter des produits bon marché à fort impact environnemental. Dans le même temps, le gouvernement réduit pour les plus riches la fiscalité directe, seule à même de compenser les inégalités de revenus et indispensable au financement de politiques publiques. La solution est inverse : elle suppose de prendre enfin en compte la nécessité d’augmenter fortement les salaires des plus modestes. C’est primordial pour l’évolution des habitudes de consommation. Mais elle doit aussi exiger une réelle responsabilité environnementale des entreprises, nécessitant une réglementation contraignante pour une internalisation des coûts sociaux et environnementaux tout au long du cycle de vie du produit, de sa conception et production jusqu’à son traitement final.
L’H : L’examen de ce projet de loi est donc d’après vous la « chronique d’un fiasco annoncé » ?
AC. En effet, le coup de force fondé sur un simple marketing politique environnemental est aujourd’hui démasqué. La révolution écologique de droite risque rapidement de tourner à l’imposture politique. Le ministre d’État Jean-Louis Borloo, bateleur sublime, et sa fidèle secrétaire d’État Nathalie Kosciusko-Morizet, géniale équilibriste, ne pourront pas rejouer le duo bien huilé de la dérobade, comme ce fut le cas au printemps sur le projet de loi relatif aux OGM après l’adoption de mon important amendement 252 et le vote majoritaire de la motion de procédure que j’avais défendue. Quant à la gauche, sur un dossier qui dessine notre vision de la société du XXIe siècle, et préfigure la planète que nous léguerons aux générations futures, elle se doit de porter sa vision humaniste d’une écologie sociale, sans occulter l’indispensable remise en cause d’un capitalisme pris dans ses contradictions. Ce sera le sens de l’implication des députés communistes et républicains dans ce débat parlementaire.
Entretien réalisé par Pierre-Henri Lab