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M. André Chassaigne - Cette loi organique ouvre-t-elle un vrai débat de fond sur les finances locales ? La réponse est évidemment non. Propose-t-elle, au moins dans ses intentions, une remise à plat des finances locales ? Là encore, non. J’ai écouté attentivement M. Bonrepaux, et quelques-uns de ses arguments ont achevé de me convaincre. Tout d’abord, il a manifestement raison d’estimer qu’on se moque du monde, et de parler d’imposture. C’est bien le cas quand on nous dit que la TIPP sera une ressource propre, et donnera de nouveaux moyens d’action aux collectivités, favorisant ainsi leur libre administration - alors qu’elles ne pourront pas jouer sur cette taxe.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C’est faux : la région pourra voter le taux.
M. Augustin Bonrepaux - Ce n’est pas garanti.
M. André Chassaigne - M. Bonrepaux m’a également convaincu quand il a dit que ce texte était un piège. Qu’il soit ou non adopté, il faudra bien ensuite assumer l’explosion des impôts locaux résultant des compétences transférées. En fait, l’objet essentiel du projet est d’abandonner les collectivités locales, en leur confiant des compétences considérables qui limiteront leur libre administration.
J’ai retenu un troisième argument : qui croira au respect de l’autonomie des collectivités locales ? Il s’agira bien plutôt d’un asservissement. Contrairement à ce qu’affirme le rapporteur de la commission des lois, ce texte n’apporte aucune garantie d’autonomie financière.
Enfin j’ai été convaincu… par M. Copé, quand il a dit que nous aurions désormais le verrou de la Constitution. Ce propos traduit-il une mauvaise foi, ou un acte de foi ? C’est en tout cas une formule pompeuse, mais vide de sens. En réalité ce projet n’apporte nulle garantie, que ce soit en matière de ressources, de libre administration, de péréquation. Il ne règle rien, parce qu’il fait l’impasse sur l’essentiel : la nécessaire remise à plat des finances locales. Le groupe communiste et républicain votera donc l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.
QUESTION PRÉALABLE
M. le Président - J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. André Chassaigne - La décentralisation de M. Raffarin est un véritable coup de force. C’est sans débat véritable ni consultation des Français que votre majorité a décidé d’engager notre pays sur cette voie dangereuse. Ce projet traduit la volonté d’institutionnaliser des rapports de concurrence entre les collectivités territoriales. Il vise, au sein de l’Europe libérale, à affaiblir l’Etat et les systèmes de protection sociale qui lui sont attachés. Dans ce schéma, les collectivités territoriales, notamment les régions, sans pouvoir politique digne de ce nom, doivent simplement donner l’illusion qu’il existe encore, malgré l’emprise croissante des institutions européennes, des marges de manœuvre politique.
Il est des mots qui parlent à nos concitoyens. L’égalité est de ceux-là. Ce principe, même dans son acception la plus réductrice, ne résistera pourtant pas à la réorganisation que vous imposez à notre architecture administrative et institutionnelle à travers ces lois successives, aux dénominations aussi diverses qu’originales, mais qui toutes concernent cette trop fameuse décentralisation. Je le dis, au risque de vous déplaire : il s’agit bien d’actes de démolition de notre République.
La République a su s’affermir, parce que les communes de notre pays, depuis la grande loi de 1884, ont donné forme et contenu à la notion de liberté. Cette définition de la libre administration : « le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune », qui valait pour la commune, vaut, aujourd’hui, pour le département et la région. Mais elle ne vaudra plus demain. Comment espérer qu’un conseil régional puisse régler, par ses délibérations, les affaires de la région, si tout son budget doit passer à gérer les blocs de compétences abusivement transférés ! Ce n’est pas par leurs compétences obligatoires que les collectivités affirment leur libre administration, mais bien plutôt par les initiatives qu’elles prennent de façon facultative, par leurs interventions dans des domaines toujours plus diversifiés - notamment, dans le cas des conseils généraux et régionaux, les politiques de soutien au développement local conduites par les EPCI et les communes.
Les propos tenus tout à l’heure par le président de la commission des finances, mettant en cause les promesses des nouvelles majorités régionales, révèlent la volonté du Gouvernement de porter atteinte à la libre administration. Il affirme en effet que les promesses de ces majorités de gauche ne pourront pas être tenues, parce que désormais les compétences obligatoires entraîneront des dépenses qui empêcheront toute libre administration des collectivités !
M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Ce n’est pas du tout ce qu’il a dit !
M. André Chassaigne - Il nous a ainsi révélé ce qu’il y a au fond de votre décentralisation. Celle-ci va saper peu à peu les piliers de notre République. Oui, il s’agit bien d’une entreprise de démolition ! Aujourd’hui, avec ce débat sur l’autonomie financière, la représentation nationale a la possibilité de ralentir ce processus destructeur.
A votre majorité de prouver qu’elle ne souhaite pas mettre à bas les principes fondamentaux de notre République. Mais cela supposerait, en premier lieu, de réformer en profondeur les finances locales. En effet, les transferts de compétences, conjugués à une très faible péréquation, conduiront à ce que les collectivités les plus pauvres n’aient plus les moyens d’assumer leurs responsabilités et de s’administrer librement. Les écarts de pression fiscale entre collectivités grandiront.
Il est donc urgent de remettre à plat les finances locales. Nous n’avons cessé de répéter, depuis le vote de la loi constitutionnelle, que la question financière est primordiale, à quoi il nous a été maintes fois répondu qu’elle serait abordée dans le cadre de la loi organique. Or, on se limite aujourd’hui à l’interprétation d’un alinéa mineur de la Constitution, en éludant l’essentiel du sujet. La question de savoir si les ressources propres des collectivités constituent une « part déterminante » de leurs recettes, à laquelle vous souhaitez réduire le débat, est certes importante, mais non centrale.
M. Clément nous a fort bien expliqué lors de l’examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales qu’une réforme des finances locales ne pourrait être abordée que dans le cadre d’une loi de finances. Alors, pourquoi ne pas, dans cette attente, surseoir aux transferts de compétences ? Ou bien, si vous êtes pressés, pourquoi ne pas déposer un projet de loi de finances rectificative ?
Enfin, comment faire débattre le Parlement de l’autonomie financière des collectivités territoriales tout en le laissant dans le flou le plus total quant à l’avenir de la taxe professionnelle ?
M. Gérard Bapt - Tout à fait.
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M. André Chassaigne - Le Président de la République en a annoncé la disparition, alors qu’elle représente 44 % de la fiscalité locale.
M. le Rapporteur - Vous avez ouvert la voie !
M. Charles de Courson - Hélas !
M. André Chassaigne - Le Président a parlé de supprimer la taxe professionnelle sur les nouveaux investissements durant dix-huit mois. Qu’en est-il exactement ? Même si, compte tenu du décalage de deux ans dans la prise en compte des bases, la mesure ne fera sentir ses effets qu’à partir de 2006, nous sommes en droit de savoir dès aujourd’hui comment s’effectueront les compensations.
M. Michel Bouvard - Par dégrèvements, cela a été dit clairement.
M. André Chassaigne - Dans la mesure où le Président a assuré qu’il n’y aurait aucune perte pour les collectivités, il ne peut en être autrement. C’est donc l’Etat qui paiera à la place des industriels. Mais la question demeure posée d’un dégrèvement total.
On le voit, vos arguments techniques ne tiennent pas. En réalité, vous n’avez pas la moindre envie de réformer les finances locales. La fiscalité locale sera pourtant, inévitablement, la variable d’ajustement financière de la décentralisation. Pourquoi le cacher et refuser de s’interroger sur les conséquences économiques et sociales de son augmentation ? D’autant que les impôts locaux, chacun en convient, sont particulièrement archaïques. On ne les appelle pas les « quatre vieilles » pour rien !
Les bases des taxes d’habitation et foncières n’ont pas été révisées depuis le début des années soixante-dix. Malgré le vote de la loi de 1990, la révision des bases n’est jamais intervenue, faute de courage politique…
M. Michel Bouvard - De la part de qui ?
M. le Rapporteur - Vous avez eu cinq ans pour le faire !
M. André Chassaigne - Les élus locaux se souviennent pourtant des nombreuses réunions qui ont eu lieu sur le sujet. Que de temps, d’énergie et d’argent perdus, le projet ayant été abandonné !
M. Michel Bouvard - Quel réquisitoire contre le gouvernement Jospin !
M. André Chassaigne - C’est en réalité en 1993, alors que M. Sarkozy était ministre du budget, que la réforme n’a pas été appliquée.
M. René Dosière - Tout à fait.
M. André Chassaigne - Vous souhaitiez en effet à l’époque, comme aujourd’hui, éviter tout transfert de charges sur les entreprises. Or, la réévaluation des bases risquait d’alourdir leur taxe foncière.
M. Charles de Courson - Mais non !
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M. André Chassaigne - Ces bases sont totalement déconnectées de la valeur locative réelle des logements, ce qui est source de graves injustices, en particulier pour les habitants de logements sociaux. Mais cela ne semble pas être votre problème…
Ces bases sont en outre déconnectées du revenu des contribuables, si bien que les impôts locaux sont de fait dégressifs. Ce sont les plus riches qui paient le moins au regard de leurs revenus et de leur patrimoine ! La taxe foncière et la taxe d’habitation représentent une dépense importante pour les plus modestes, une goutte d’eau pour les plus aisés. Il serait urgent de prendre en compte les revenus dans le calcul des impôts locaux.
Enfin, comment accepter que, du fait des inégalités de richesse fiscale, les impôts puissent, d’une commune à l’autre, varier du simple au triple, voire davantage. Ce sont ces injustices criantes qui rendent si impopulaires ces impôts. Or, ces injustices vont encore s’aggraver avec votre décentralisation.
La taxe professionnelle a elle aussi de multiples défauts. Ses bases sont extrêmement mal réparties sur le territoire, même si la multiplication des groupements de communes à TPU a permis de réduire les écarts. Il n’en reste pas moins que 90 % des bases sont concentrées sur à peine 10 % du territoire. D’où les très graves inégalités de richesse fiscale entre collectivités.
La taxe professionnelle est pourtant le seul impôt permettant d’ancrer une entreprise dans son environnement et donc de mettre en jeu, en partie, sa responsabilité sociale locale. De ce seul fait, elle ne peut être supprimée. Son assiette n’intègre plus aujourd’hui que les actifs réels des entreprises - immeubles, terrains, outillage -, ce qui pénalise l’industrie et profite au secteur des services. Mais surtout, dans la mesure où les actifs financiers n’y sont pas assujettis, cet impôt encourage la spéculation au détriment de l’investissement productif. Cette assiette injuste porte atteinte à l’égalité des entreprises devant l’impôt. Prenons l’exemple, d’ailleurs d’actualité, d’une entreprise pharmaceutique. Si celle-ci investit dans la recherche et ouvre de nouveaux laboratoires, ces investissements seront assujettis à la taxe professionnelle - ce qui est normal. Mais si elle préfère, multipliant les OPA, racheter ses concurrents un à un, multipliant les OPA, puis fermer des sites pour, comme on dit pudiquement, « éviter les doublons », en abandonnant toute politique ambitieuse de recherche, ses nouveaux actifs financiers échapperont à la taxe professionnelle. Comment justifier cette différence de traitement, qui incite les entreprises à ne pas investir et encourage la financiarisation de l’économie ?
Notre économie a changé, mais notre fiscalité ne s’est pas adaptée à ces mutations. Elle pénalise lourdement l’industrie, et ce constat n’est pas le seul fait de quelques communistes utopistes ! Il est largement partagé. Un ancien ministre du précédent gouvernement, M. Delevoye, faisait observer en 1995 que, lorsque l’économie était agricole, la richesse et la fiscalité étaient fondées sur le foncier ; puis, lorsque l’économie est devenue industrielle, elles l’ont été sur le travail et le capital ; mais aujourd’hui, alors que l’économie repose sur les services et la finance, ces secteurs sont « notoirement sous-fiscalisés ». Pourquoi ne pas étendre l’assiette de la taxe professionnelle aux activités financières ? Un prélèvement de 0,3 % sur les 2 620 milliards d’euros d’actifs financiers des entreprises non financières et les 2 050 milliards d’actifs des banques et institutions financières rapporterait quatorze milliards ! De surcroît, dans la mesure où ces actifs ne sont pas attachés à un site, contrairement aux immobilisations des entreprises, cet impôt pourrait alimenter la dotation nationale de péréquation, et donc profiter aux collectivités qui en ont le plus besoin.
On voit bien combien la fiscalité locale est aujourd’hui imparfaite ! Les contribuables paient d’autant plus qu’ils sont pauvres, et les entreprises d’autant plus qu’elles investissent et refusent le chantage de leurs actionnaires. A cela s’ajoute l’arbitraire total des taux d’imposition selon les communes, les départements et les régions, conséquence inévitable de la concentration des bases de ces impôts sur le territoire de certaines collectivités. Or qu’avez-vous trouvé pour réformer cette fiscalité ? Vous avez commencé par ne rien faire.
M. le Rapporteur - Vous aviez donné l’exemple !
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M. André Chassaigne - Puis vous avez ergoté sur un adjectif : la part des ressources propres devait-elle être « déterminante » ou « prépondérante » ?
Enfin, vous transférez aux collectivités locales l’impôt le plus dégressif et le plus injuste, la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Je ne suis pas sûr qu’on renforce ainsi la légitimité de ces collectivités, ni qu’on améliore l’opinion qu’en ont nos concitoyens.
Mais la question de la fiscalité locale n’est pas votre seule omission. Toute la structure interne des dotations de l’Etat doit être repensée. En effet, ce système a été construit indépendamment de la fiscalité locale, si bien qu’il ne peut en corriger les dysfonctionnements.
M. le Rapporteur - C’est le procès du précédent gouvernement !
M. André Chassaigne - Compte tenu des inégalités de richesse entre collectivités territoriales, comment accepter que 90 % de la DGF des communes soient attribués au titre de la dotation forfaitaire ? Comment justifier que les dotations de compensation ne représentent qu’une part infime de budget communal ?
Je prendrai pour exemple ma petite commune du Puy-de-Dôme, Saint-Amant-Roche-Savine, 530 habitants. Son budget de fonctionnement s’élève à 583 000 €. Cette commune, comme la plupart des communes rurales, n’est pas très riche. Son potentiel fiscal par habitant ne représente que 60 % de la moyenne dans les communes de même dimension. S’agissant de la taxe professionnelle, le potentiel fiscal n’est que de 24 % de la strate.
Il serait donc normal que cette commune bénéficie des mécanismes de péréquation. Or, les crédits reçus à ce titre ne représentent qu’un cinquième de la DGF !
La péréquation est tout sauf une réalité. Chaque année, on nous promet une forte hausse des dotations de solidarité. Lors du débat sur le projet relatif aux territoires ruraux, M. Devedjian nous avait promis une hausse de 43,99 % des dotations de péréquation pour la nouvelle DGF régionale. Mais l’augmentation ne sera que de 24,8 %, soit un gain infime compte tenu de la faiblesse des dotations régionales.
Sans doute m’opposerez-vous les décisions prises par le comité des finances locales. Les élus qui le composent se sont accordés pour préférer une croissance des dotations forfaitaires, pérennisant ainsi le caractère inégalitaire de notre fiscalité locale. Je tiens cependant à saluer notre collègue Bonrepaux, qui a défendu la position inverse.
M. le Rapporteur - Contre Charasse !
M. André Chassaigne - Contre une personne que je connais bien, en effet.
Loin de réduire les inégalités, les dotations de l’Etat tendent à les renforcer. Cette question n’est pas seulement budgétaire : elle est éminemment politique, la libre administration des communes étant entravée par les contraintes financières. L’égalité des chances entre les collectivités n’est pas garantie.
Par cet exposé, je tenais à mettre en évidence les contradictions de notre fiscalité locale, mais aussi à montrer que nous nous égarons dans de faux débats. Je tenais à signaler les problèmes que ce projet aurait dû s’attacher à résoudre.
Dans une vision réductrice du débat, vous avez limité le débat aux relations financières entre l’Etat et les collectivités locales. Après avoir posé comme principe que la libre administration est garantie par une certaine part de ressources propres, vous affirmez, comme un acte de foi, que tout transfert de compétence s’accompagne mécaniquement de l’attribution des ressources correspondantes. Ainsi, vous avez fait de ces questions techniques le problème central des finances locales, oubliant la péréquation et les aspirations des citoyens.
Comment imaginer que ce soit la seule part relative des impôts locaux dans les ressources qui définissent le degré de libre administration ? En Espagne, 59 % des recettes des collectivités locales proviennent de l’Etat. En Allemagne, cette part est de 55 %. Prétendez-vous que les collectivités locales, dans ces deux pays, ne s’administrent pas librement ?
Voter l’impôt est une prérogative fondamentale de tout pouvoir politique responsable. Mais ce n’est pas une condition exclusive de la libre administration. Celle-ci suppose avant tout que les collectivités locales aient la maîtrise de leurs dépenses et des politiques à mener.
C’est pourquoi la multiplication des transferts de compétences n’est pas faite pour renforcer l’autonomie financière des collectivités territoriales. Nous trouvons même scandaleux qu’on nous fasse disserter sur cette prétendue autonomie que votre projet va encore compromettre.
Poser la question de l’autonomie financière des collectivités territoriales revient aussi à s’interroger sur les garanties de progression des dotations versées par l’Etat. Pourquoi n’évoquez-vous pas la question ? Peut-être parce que les élus locaux ont de biens mauvais souvenirs du pacte de stabilité financière, imposé par votre majorité à l’époque d’Alain Juppé… Quelles garanties pouvez-vous donner aux élus locaux, sur un prolongement à moyen terme du « contrat de croissance et de solidarité » des dotations sous enveloppes attribuées par l’Etat aux collectivités territoriales ? Ce contrat de croissance avait été conclu pour les années 1999, 2000 et 2001. Il est prolongé depuis 2002, assurant depuis une croissance des dotations sous enveloppes équivalant à l’évolution des prix et à un tiers de la croissance du PIB. Aujourd’hui, les élus restent dans l’incertitude, attendant chaque année l’engagement de l’Etat. Ils sont d’autant plus inquiets que leurs nouvelles charges, transférées abusivement par l’Etat, vont progresser à un rythme bien supérieur à celui des dotations.
Vous prétendez renforcer l’autonomie financière des collectivités territoriales en finançant les transferts de compétences que vous imposez par le transfert d’impôts nationaux, plutôt que par l’octroi de nouvelles dotations passives. Et voilà que les départements, et bientôt les régions, vont percevoir la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Pourquoi cet impôt ? Il serait malhonnête, me diriez-vous, de penser que vous avez fait le choix de débarrasser l’Etat d’un impôt dont les bases sont particulièrement peu dynamiques, ce qui oblige les gouvernements à en augmenter régulièrement les taux pour en relever le produit. La TIPP est un véritable boulet. C’est bien la raison de son transfert. Une étude de DEXIA montre que le rythme annuel moyen de progression des différentes composantes de la TIPP - depuis 1993 - n’est que de 1 % par an, soit un rythme nettement inférieur à celui des postes de dépense que vous transférez. Il s’agit en outre d’une ressource que les collectivités locales ne maîtrisent en rien.
Surtout que les modalités du transfert du RMI auront été pour le moins problématiques. Je peux vous donner un exemple, qui n’est sûrement pas isolé. Dans l’Hérault, 30 fonctionnaires d’Etat travaillaient à l’instruction des dossiers du RMI : quinze seulement ont été transférés et compensés par l’Etat ; le conseil général sera donc dans l’obligation de supporter la charge des quinze autres postes.
On pourrait aussi parler des TOS. Notre rapporteur, qui a été proviseur, sait aussi bien que moi, qui étais principal de collège, que les postes à créer pour faire face aux besoins seront nombreux et que le transfert se fera sur une base fortement dégradée par les très nombreuses suppressions de postes auxquelles a procédé ce Gouvernement depuis deux ans. Croit-on vraiment qu’une augmentation moyenne de 1 % par an de la TIPP suffira pour couvrir des dépenses aussi dynamiques ? Ou bien tout cela cache-t-il la volonté de privatiser certains services dans les collèges et lycées ? Nous avions déposé un amendement visant à bloquer toute privatisation de ce type. La majorité l’a repoussé. Le Gouvernement peut-il donc aujourd’hui nous assurer qu’il ne privatisera pas les services de nettoyage ou de restauration des établissements scolaires ?
M. Jean-Pierre Grand - En quoi cela serait-il gênant ?
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M. André Chassaigne - Quel aveu ! On voit bien ce qui se profile ! Les députés de la majorité sont les bons soldats de l’Accord général sur le commerce et les services (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Conseil constitutionnel, pourtant si bien disposé à votre égard, a considéré que l’Etat devrait compenser les baisses éventuelles du produit des impôts nationaux qu’il transfère aux collectivités territoriales, considérant par-là même qu’un impôt transféré, comme la TIPP, n’était pas une ressource propre des collectivités territoriales.
Dans cinq ans, il sera évident pour tous les décideurs locaux que ce transfert n’aura rien été d’autre qu’un recul de leur libre administration, puisque le produit de la TIPP sera alors nettement insuffisant pour compenser les nouveaux postes de dépense. Seule une hausse brutale des impôts locaux - ou une privatisation de nombreux services - permettra alors d’équilibrer les budgets locaux.
En outre, chacun sait ici que le produit de la TIPP étant très mal réparti sur le territoire, le transfert de cet impôt aux collectivités territoriales aiguisera encore davantage les inégalités territoriales.
Votre analyse des finances locales paraît donc pour le moins biaisée. A tel point que j’ai la désagréable impression que les principes que vous souhaitez nous faire voter aujourd’hui n’ont surtout pas vocation à être appliqués. Et que la croissance des ressources propres au sein des ressources des collectivités territoriales vise surtout à dissimuler une forte atteinte à leur autonomie financière.
Ce texte ne fait que donner l’illusion de parler de finances locales, il en a la couleur sans en avoir la saveur, l’appellation sans la teneur. Vous mettez en _uvre la politique « Canada Dry ». Vous mettez l’accent sur les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales pour éviter d’aborder des questions plus fondamentales et de prendre en compte les préoccupations de nos citoyens. Vous faites comme si la fiscalité locale, la péréquation financière ou la libre administration n’étaient que des questions secondaires.
Votre conception de l’autonomie financière est particulièrement injuste, parce qu’elle interdit tout renforcement de la solidarité financière entre les collectivités, et parce que seuls les impôts, dont les bases sont particulièrement concentrées sur une minorité de communes, devront constituer l’élément décisif des budgets des collectivités territoriales. Les inégalités territoriales et le « chacun pour soi » en seront hélas renforcés. Nous ne voulons pas de cette institutionnalisation de l’individualisme néolibéral dans l’administration des collectivités territoriales. Et nous considérons que ce texte ne répond pas à l’obligation qui se fait de plus en plus pressante depuis des décennies : repenser les finances locales.
Permettez-moi de citer pour conclure ce qu’écrivait Camille Vallin à propos des impôts locaux : « Nos quatre vieilles s’apprêtent à entrer dans leur troisième centenaire, non pas allègrement, certes, car les opérations en tous genres qu’elles ont subies, les emplâtres successifs qu’elles ont reçus, les cures de rajeunissement qu’on a tentées pour les rendre présentables, n’ont rien réglé. Il n’est plus personne pour soutenir qu’elles n’ont pas fait leur temps. Elles ne survivent que parce qu’on prétend ne pas savoir par quoi les remplacer ». Il ajoutait : « Lorsque la fiscalité locale ne représentait qu’une part modeste des ressources communales, l’injustice de nos vieux impôts était supportable. Quand cette part atteint la moitié de ces ressources, elle ne l’est plus ». Et il en appelait à une réforme comportant deux volets inséparables : une redistribution des ressources fiscales nationales au profit des collectivités territoriales, une modernisation et une démocratisation de la fiscalité. On ne trouve pas cela dans le présent texte. C’est pourquoi nous ne voulons pas de cette loi organique,etnousvous invitons à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste).
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l’intérieur - En somme, vous invitez l’Assemblée à voter votre question préalable parce que vous estimez qu’il aurait fallu repenser l’ensemble des finances locales plutôt que de nous limiter à une seule question, en l’occurrence assez complexe et ô combien importante. Il nous fallait pourtant bien nous conformer à la Constitution, qui renvoie à une loi organique le soin de fixer les conditions dans lesquelles doit être mise en œuvre la règle qui veut que les recettes fiscales et autres ressources propres des collectivités territoriales représentent pour chaque catégorie de collectivité une part déterminante de l’ensemble de ses ressources.
L’heure n’est plus aux colloques mais à la décision après débat démocratique. Nous aurions certes pu tous nous répandre en d’abondantes considérations théoriques. Nous avons considéré qu’il fallait au contraire trancher et nous suivons pour cela un calendrier méthodique : d’abord le texte sur les transferts de compétences, puis le présent projet de loi organique, après quoi nous verrons la suite du volet financier, ce qui nous permettra de parler de péréquation, de la TIPP, de la taxe sur les conventions d’assurance, de l’avenir de la taxe professionnelle… J’évoquerai d’ailleurs demain les pistes sur lesquelles nous travaillons et sur lesquelles nous sollicitons le point de vue de cette assemblée.
Pour débattre, encore faut-il que la discussion se poursuive, et donc que la question préalable ne soit pas votée. C’est à quoi j’appelle vivement l’Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
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M. le Rapporteur - Nous venons d’assister à un exploit remarquable : pendant cinquante minutes, un élu communiste a réussi à discourir sans citer le Medef. Je salue cette performance !
M. Jean-Pierre Brard - Vous voulez faire exclure André Chassaigne ?
M. le Rapporteur - En revanche, André Chassaigne a donné du propos du président de la commission des finances une interprétation inexacte. Je vais confronter les déclarations.
M. Jean-Pierre Brard - C’est de la littérature comparée !
M. le Rapporteur - C’est le rétablissement de la vérité ! Le président Méhaignerie a déclaré : « Puisque la loi organique garantira que, pour toutes les compétences nouvelles transférées, les collectivités recevront l’intégralité des moyens leur permettant de les assurer de façon pérenne, les augmentations de fiscalité qui pourraient être opérées par les collectivités le seraient au titre des promesses électorales qu’elles auraient faites dans le cadre de compétences non obligatoires ». Monsieur Chassaigne, vous avez travesti ces propos en disant que, puisque la Constitution posait un verrou sur les transferts de charges et les moyens correspondants, les collectivités territoriales seraient privées de ce que vous appelez leur libre administration, à savoir le libre choix d’agir en dehors des compétences transférées. J’insiste sur ce qu’a dit Pierre Méhaignerie, et que la majorité prend à son compte : si demain des collectivités augmentent leur fiscalité, ce ne sera pas au titre de transferts de compétences, mais de politiques volontaristes que vous financerez par le recours à l’impôt en nous faisant supporter la responsabilité de vos choix.
M. Augustin Bonrepaux - C’est faux !
M. le Rapporteur - Ce n’est pas acceptable !
André Chassaigne a évoqué un « terme mineur » d’un article de la Constitution. Il n’y a pas dans la loi fondamentale de terme mineur, surtout s’agissant d’un alinéa de l’article 72-2 qui précise les conditions dans lesquelles les ressources fiscales gérées par les collectivités locales peuvent leur être transmises avec possibilité d’en fixer le taux. C’est sur ce point que la discussion s’engagera à l’article 2.
M. Didier Migaud - Elle est déjà engagée.
M. le Rapporteur - C’est vrai, et ce point n’est pas du tout mineur ! Grâce à la réforme constitutionnelle et à la loi organique, enfin, le Conseil constitutionnel disposera de l’outil lui permettant de contrôler la réalité de la politique du Gouvernement en matière de transferts de charges et de moyens. Notre pays est considéré par le Congrès européen des pouvoirs locaux et régionaux comme étant plutôt en bonne position pour les capacités financières, mais comme vulnérable en raison de l’obsolescence de ses ressources et de ses taxes locales. Or, jamais, durant les cinq années où vous avez été associés au Gouvernement, vous n’avez entrepris de réforme dans ce domaine. Bien plus, quand l’opposition d’alors a demandé d’engager une déliaison des taux, le gouvernement de Lionel Jospin s’y est toujours refusé. Ce n’est qu’avec la loi de finances pour 2003 que s’est opéré un début de déliaison, permettant aux collectivités de progresser dans la voie d’une libre administration.
Votre tentative de travestir la décentralisation en l’assimilant à une privatisation ne pourra plus durer longtemps. Je suis le maire de droite d’une commune dont la restauration municipale est en régie : la municipalité voisine, qui est de gauche, a concédé sa restauration au privé. Balayez donc devant votre porte !
M. Jean-Pierre Brard - Et vos salades, elles sont privées ?
M. Michel Bouvard - Tout comme l’exception d’irrecevabilité, la question préalable a été dévoyée. Loin de démontrer qu’il n’y avait pas lieu de délibérer, André Chassaigne a réclamé en fait un supplément de délibération. Il a développé des observations très critiques à l’égard des gouvernements précédents, et soulevé des questions importantes, par exemple la faiblesse structurelle des mécanismes de péréquation, l’abandon de la révision des bases, l’ancrage local de la taxe professionnelle ; autant de sujets sur lesquels il nous faudra revenir, mais qui n’ont pas leur place dans le projet de loi organique. Je regrette que nous ayons passé beaucoup de temps à parler de questions hors sujet. C’est une première raison pour appeler à rejeter la question préalable.
La seconde est qu’il est impossible de souscrire aux orientations qu’André Chassaigne nous a proposées, même si nous avons échappé à la référence traditionnelle au Medef. Et quand il a évoqué la déliaison des taux, je me demande si ce n’est pas un peu sous l’influence du Medef que la majorité de l’époque l’a refusée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
M. René Dosière - André Chassaigne a soulevé des questions qu’il eût été préférable d’aborder plus tôt que le texte du Gouvernement, en particulier la compensation des transferts de compétences. Notre inquiétude se nourrit de notre expérience. Les insuffisances relevées par le rapporteur pour les établissements scolaires s’appliquent parfaitement aux TOS, qui vont être transférés en nombre insuffisant, qui ont été remplacés par des personnels payés moins cher. A lire la Constitution, l’Etat versera aux collectivités le montant des sommes qu’il verse à la date du transfert pour les salaires des TOS, comme en 1986 il a versé aux régions et aux départements les sommes qu’il consacrait à la construction des lycées et des collèges. Et c’est parce que nous nous somme aperçus que ces sommes étaient insuffisantes que nous mettions en garde. Or, non seulement vous avez repris la même formule, mais vous l’avez constitutionnalisée. Aussi, lorsqu’on s’apercevra que les moyens manquent, il faudra modifier la Constitution pour corriger le tir.
Notre inquiétude est d’autant plus vive que je n’ai pas trouvé un seul expert capable d’établir que la fiscalité partagée est une fiscalité locale.
M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Et les droits de mutation ?
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M. René Dosière - Les droits de mutation, les collectivités avaient le pouvoir de les modifier ! Il ne s’agissait donc pas de ce type de fiscalité.
Nous sommes très inquiets sur le niveau de la compensation. Prenons l’exemple d’une collectivité qui mène une politique dynamique, comme Montreuil par exemple.
M. Jean-Pierre Brard - Excellent exemple ! (Sourires)
M. René Dosière - Ses efforts se traduisent par des constructions de logements, qui engendrent des recettes de taxe d’habitation supplémentaire, ou par l’implantation d’entreprises, qui acquittent la taxe professionnelle. La collectivité a donc un retour sur investissement. Mais que retirera la collectivité la plus dynamique qui soit du partage de la TIPP ?
M. le Président - Monsieur Dosière, il faut conclure.
M. René Dosière - S’agissant de la révision des valeurs locatives, Monsieur Bouvard, je vous rappelle que le rapport sur les évolutions de la réforme est paru en novembre 1992, alors que la session parlementaire se terminait en décembre. En mars 1993, c’était une nouvelle assemblée qui se réunissait, qui avait tout le temps de mettre ce texte en application et qui ne l’a pas fait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Jean-Pierre Brard - Vous avez pu noter que M. de Villepin n’est pas là…
M. le Rapporteur général - Il était là tout à l’heure !
M. Jean-Pierre Brard - Mais il est parti, parce qu’il sait qu’on ne peut être brillant que sur un bon dossier.
M. le Ministre délégué - Encore une amabilité !
M. Jean-Pierre Brard - On a entendu le ministre et le rapporteur égrener les sophismes. Le Gouvernement, par exemple, aurait pensé que l’heure n’était plus aux colloques et qu’il fallait trancher. Mais il faudrait vous accorder entre vous, pour cela ! La cacophonie règne au sein du Gouvernement. Un colloque ne serait pas de trop pour aligner vos points de vue !
Vous nous avez annoncé un volet financier. Nous savons que vous êtes facétieux et que vous essayez toujours de nous entraîner d’une chausse-trape à une autre, en nous promettant toujours qu’il n’y en a plus après ! Mais l’expérience nous enseigne qu’avec vous, on n’atteint jamais le fond… Vous nous avez promis que nous parlerions de la taxe professionnelle. Parlons-en ! Le Président de la République a annoncé qu’elle serait supprimée, puis d’autres membres du Gouvernement ont dit qu’il n’en était pas question. Si vous la supprimiez en effet, il faudrait la compenser, et où iriez-vous chercher l’argent, puisque vous avez vidé les caisses de l’Etat ?
M. le Ministre délégué - Cela vous va bien !
M. le Rapporteur - Quel culot !
M. Jean-Pierre Brard - Et dire que je vous croyais aussi lettré que M. Piron, qui fait régulièrement référence à Marguerite Yourcenar…
Vous nous promettez donc des discussions, alors que sur de tels sujets, il faut avoir une vision globale pour décliner ensuite les lois ! Quant au rapporteur, il a fort injustement reproché à André Chassaigne d’avoir qualifié certains termes de la Constitution de « mineurs ». Quel blasphème, contre ce texte sacré - qui l’est si peu que le Président de la République éprouve le besoin, sauf lorsqu’il change d’avis au dernier moment, de nous envoyer à Versailles pour le réformer ! L’avis d’André Chassaigne semble assez fondé… Enfin, vous avez osé lui dire qu’il travestissait la réalité, en lui opposant votre cuisine municipale. Restons-en aux affaires essentielles !
Vous dites, Monsieur le rapporteur, que j’ai du culot. Ne voyez pas les autres à votre image ! Qui donc a décidé la liaison des taux : un gouvernement de gauche ou de droite ? M. Lambert avait fait un petit geste, dicté par son expérience de maire. Bien qu’étant de droite, ce n’était pas un si mauvais ministre que cela ! Malgré la pression du Medef, il avait donc commencé la déliaison. Il a été renvoyé !
Entre les promesses du ministre et le travestissement de l’histoire de M. Geoffroy, il faut tout remettre à plat et la question préalable brillamment défendue par André Chassaigne est donc légitime (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).
M. Charles de Courson - Notre collègue n’a apporté aucun élément. Il a même alimenté le vote contre sa motion : le Conseil constitutionnel nous demande de légiférer depuis plusieurs années ! Il ne va pas, une nouvelle fois, définir à notre place le seuil d’autonomie des collectivités locales ! Le groupe UDF votera donc contre cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Pierre Brard - Encore une génuflexion devant l’UMP !
La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
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