16-01-2004

service public, fracture numérique, développement économique.

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M. Yves Coussain, rapporteur
[…]

Le texte se saisit par ailleurs de la question des services au public et plus précisément des maisons de services publics, dont il n’existe qu’un très petit nombre. Le projet relance résolument le dispositif créé en 2000, en autorisant la participation de personnes privées aux maisons de services publics, qui deviendront des maisons de services au public. Il sera désormais possible à une personne publique de déléguer l’exécution d’une mission de service public à une personne privée pour maintenir un service de proximité, ce qui nous satisfait (M. Chassaigne s’exclame). Ainsi, un bureau de tabac pourra réceptionner et distribuer le courrier, et cela est préférable à un bureau de poste qui ne reste ouvert que quelques heures par semaine. Ce type de mesure est propre à réduire le sentiment d’abandon que ressentent parfois nos concitoyens ruraux.

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M. André Chassaigne - Bien entendu, le groupe CR votera la motion, d’abord parce que la démonstration de M. Nayrou a été foudroyante (Rires sur les bancs du groupe UMP), ensuite parce que les réactions qu’elle a suscitées dans les rangs de la majorité sont la meilleure preuve de sa pertinence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre de l’agriculture- Je vous remercie, Monsieur Nayrou, d’avoir évoqué la vallée de la Maurienne et ma commune natale de Bourg-Saint-Maurice. Je crois que nous partageons le même attachement envers les territoires ruraux et envers la montagne et je puis également partager certaines de vos analyses, mais je vois mal en quoi ce projet serait irrecevable.

Loin de moi l’envie de polémiquer sur des sujets qui doivent nous réunir, mais permettez-moi tout de même de rappeler que sous la législature précédente, il y a eu au moins trois coups durs portés contre le monde rural : la suppression du Fonds de gestion de l’espace rural ; la suppression des dispositions de 1995 en faveur de la pluriactivité ; et la baisse drastique des crédits destinés au logement en milieu rural, je pense notamment aux opérations programmées d’amélioration de l’habitat. Par ailleurs, les ZRR n’ont pas été activées. Le bilan de la législature précédente est donc, dans ce domaine, plutôt accablant.

Ce projet a le mérite d’être interministériel, ce qui, à mon avis, a plus de sens que telle ou telle recomposition gouvernementale. S’il suffisait de créer un secrétaire d’Etat au développement rural pour régler les problèmes de la ruralité, cela se saurait. Ce gouvernement a préféré faire du ministère de l’agriculture un ministère qui est également chargé des affaires rurales et qui travaille en étroite concertation tant avec le ministère de l’aménagement du territoire qu’avec la DATAR et toutes autres structures concernées.

En matière agricole, nous avons un certain nombre de rendez-vous importants qui s’annoncent, sur différents sujets, le tout devant s’inscrire dans la mise en œuvre de la réforme de la PAC. C’est pourquoi nous avons décidé, en concertation avec les organisations professionnelles et syndicales, de traiter séparément le développement rural et la modernisation agricole. Il y a néanmoins dans ce projet des dispositions agricoles, car certaines modifications ont été très concertées et peuvent donc s’appliquer immédiatement.

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S’agissant des services publics, je crois, Monsieur Nayrou, que l’on ne peut pas à la fois avoir soutenu un gouvernement qui a pris à Lisbonne la position que l’on sait - et que vos amis altermondialistes vous reprochent abondamment - et tenir aujourd’hui le discours caricatural qui est le vôtre.

Je voudrais terminer en évoquant la décentralisation. La décentralisation Mauroy a été une bonne chose et je reconnais que ma formation politique aurait dû la voter, mais les compensations de charges accordées par les gouvernements que vous avez soutenus n’ont ensuite pas été à la hauteur, qu’il s’agisse du transport scolaire ou de l’APA. Mais nous travaillons maintenant dans un cadre juridique différent, puisque la Constitution a été modifiée de façon à garantir la sincérité financière et budgétaire de la décentralisation.

Pour toutes ces raisons, j’invite l’Assemblée à ne pas voter l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Chassaigne - Ce projet résulte d’un diagnostic que partagent, je pense, tous les députés : un malaise profond secoue aujourd’hui la France rurale. Il incombe aux représentants de la nation d’affronter ce problème et de chercher à le résorber.

Les manifestations de ce malaise sont nombreuses. Les crises sanitaires de ces dernières années ont révélé et accentué le désespoir de nombreux agriculteurs. L’industrie en zone rurale est frappée, comme en ville, par les restructurations, les fermetures de sites, mais aussi la faiblesse des formations et surtout des salaires. Rien d’étonnant, dès lors, si les habitants des régions les plus rurales, comme l’Auvergne ou le Limousin, sont ceux qui ont le plus faible revenu médian par unité de consommation. Et, au sein de ces régions, c’est évidemment dans les départements les plus ruraux que les habitants ont les revenus les plus bas. Ainsi, dans le Cantal, la moitié des habitants a déclaré en 2000 moins de 11 400 € de revenu. Dans des zones montagneuses comme le Livradois et les Combrailles, dans le Puy-de-Dôme, la moitié de la population a déclaré en 2000 moins de 10 500 €, soit un revenu inférieur de 50 % à celui des habitants de la périphérie urbaine de Clermont-Ferrand.

En ce qui concerne les services publics, la lutte remarquable menée à l’automne par les élus et citoyens de Saint-Affrique dans l’Aveyron pour obtenir le maintien d’un hôpital de proximité a montré l’attachement de nos concitoyens à ces services de proximité et aux valeurs du service public. Cette lutte, comme d’autres, a montré que ce qui relie aujourd’hui encore les citoyens à l’Etat, à la République, ce sont les services publics. C’est là que prennent encore sens des valeurs d’égalité et de solidarité, c’est là que prend toute sa dimension l’idée que les questions d’intérêt général doivent faire l’objet de politiques publiques. Or toute votre politique vise aujourd’hui à les détruire, à remettre en cause leurs statuts pour mieux contester les valeurs qu’ils portent. Toute votre politique essaie de couper les dernières attaches de nos concitoyens ruraux à la République et, de fait, à réduire l’attractivité des territoires ruraux.

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Les conflits récurrents qui opposent les écologistes et les chasseurs à propos de la chasse ont révélé la profondeur actuelle du fossé culturel entre les ruraux et les citadins. Ce qui apparaît comme l’hégémonie culturelle des citadins est d’autant plus mal accepté qu’elle contribue à transformer les modes de vie et les valeurs attachées à la ruralité. Cette conflictualité latente est d’autant plus dommageable que les néo-ruraux, de plus en plus nombreux du fait de la rurbanisation, sont une chance réelle de développement pour le monde rural, par les dynamiques qu’ils impulsent et leurs exigences de qualité de vie.

Cette crise d’identité est apparue au grand jour en trouvant, aux dernières élections, un débouché politique. Les scores réalisés à la campagne par les candidats du CPNT, voire ceux du Front national, reflètent la profondeur du sentiment d’abandon ressenti par nos compatriotes ruraux.

En annonçant une grande loi pour le développement des territoires ruraux, le Gouvernement avait suscité l’espoir que la voix de la France rurale soit enfin entendue, et que le souffle d’une politique nouvelle vienne réveiller et redynamiser nos campagnes. Vous aviez en main, Monsieur le ministre, des cartes prometteuses. Le remarquable rapport de la DATAR, « Quelle France rurale pour 2020 ? », décrit bien la situation dans le monde rural, les dynamiques qui s’y développent et les perspectives de développement.

Ce rapport décrit différents scénarios d’évolution du monde rural. Un scénario au fil de l’eau trace les contours de l’inacceptable. En l’absence de volontarisme politique, notre France rurale serait condamnée à servir d’annexe urbaine, de cour de récréation, voire de lieu de stockage des déchets urbains. Un autre scénario définit les éléments d’une stratégie de développement rural durable. Lors du CIADT de septembre dernier, le Gouvernement a prétendu qu’il reprenait les conclusions de ce rapport. On n’en voit guère de traces, toutefois, dans les projets présentés. Nos campagnes ont pourtant besoin d’une politique volontariste qui ne se réduise pas à des propos incantatoires ! L’examen du présent projet montre que vous n’avez pas cru bon, Monsieur le ministre, quoi que vous en disiez, vous appuyer sur cette étude. En fait de souffle, nous n’avons que celui d’un asthmatique…

Pourtant la ruralité occupe toujours une place privilégiée dans l’imaginaire collectif français. Notamment parce que la force politique et idéologique dominante de la IIIe République, le radicalisme, voyait dans la paysannerie, non seulement une assise sociale et politique solide, mais aussi la concrétisation de son idéal politique : une République de petits propriétaires libres et indépendants. Sans doute aussi parce que la France s’est urbanisée bien plus tard que ses principaux partenaires européens et qu’elle a conservé plus longtemps des campagnes vivantes. L’exode rural n’a véritablement débuté qu’au lendemain de la grande boucherie de 1914-1918. La population urbaine n’est devenue majoritaire en France qu’en 1931. Et ce n’est qu’après guerre que l’exode rural et la modernisation de l’agriculture française se sont véritablement accélérés, ce que certains ont appelé une « révolution silencieuse ». Cela explique que les Français soient nombreux à avoir gardé des attaches avec le monde rural.

La crise qu’affronte celui-ci résulte de ces évolutions économiques et sociales. Les mutations de l’agriculture ont aussi transformé l’identité nationale et républicaine. Le sentiment d’abandon qu’éprouvent beaucoup de nos concitoyens ruraux est aussi lié au fait que la ruralité n’est plus constitutive de l’identité républicaine : nul aujourd’hui ne penserait à représenter la République en « semeuse »…

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On affirme pourtant que le déclin démographique du monde rural serait enrayé. Le dernier recensement l’a confirmé, de plus en plus de citadins recommencent à investir les territoires ruraux. Mais cette évolution ne doit pas masquer les fractures nouvelles. Au sein même des espaces ruraux, les communes proches des villes n’ont pas les mêmes problèmes que les zones rurales isolées, souvent situées en moyenne montagne. Dans les espaces périurbains, l’évolution démographique favorable ne signifie pas que la question de la revitalisation rurale est en passe d’être résolue. Ces espaces ne sont en effet que l’extension des agglomérations et le résultat des mutations urbaines. Les déplacements alternés entre ces lieux de vie et les lieux de travail situés en centre ville montrent que les espaces périurbains, comme les espaces ruraux isolés, sont confrontés à la question de leur développement : ils ne parviennent pas à en concevoir un qui soit autonome.

Quant aux campagnes isolées, malgré tous les beaux discours sur l’aménagement du territoire, elles sont toujours confrontées à la démission des pouvoirs publics. Ceux-ci sont en proie à une tentation diffuse que résume le sinistre aveu du géographe Jacques Lévy : « oser le désert »… Ces territoires, amputés de leurs forces vives, sont conduits au déclin et contraints, souvent sur leurs propres deniers, d’en aménager les conséquences : en quelque sorte, ils financent eux-mêmes la morphine pour accompagner leur mort lente. Force est de le constater, votre projet ne suscite aucun espoir d’un retour de la solidarité nationale.

Le manque d’ambition de l’Etat en matière d’aménagement du territoire devient criant. On a brassé beaucoup d’air au CIADT du 3 septembre, consacré à la ruralité. Mais il n’en résulte aucune mesure concrète pour stopper la casse de nos services publics. Et tout ce qu’on a trouvé pour réduire la fracture numérique, c’est de faire payer les collectivités territoriales ! Les territoires ruraux, en déclin économique, devront financer pour une bonne part un équipement payé dans les villes par les opérateurs privés ! Il est inacceptable de faire payer par les secteurs les plus fragiles les équipements que d’autres ont obtenu gratuitement. La responsabilité d’éradiquer les zones blanches devrait incomber aux seuls opérateurs de télécommunications.

Si la majorité des représentants politiques du pays tient ainsi un double langage, cela résulte évidemment de son acceptation de la politique européenne de libéralisation, d’une ouverture des marchés qui ne peut conduire qu’au démantèlement de nos services publics. Comment parler de développement des territoires ruraux, tout en laissant dévoyer l’idéal européen de coopération pacifique entre les peuples et en faisant de cette Europe le cheval de Troie du libéralisme sauvage, du développement de la misère et des inégalités territoriales ?

Plus qu’une discrimination positive, les territoires ruraux demandent d’abord une égalité de traitement et de respect du principe d’égal accès au service public. Mais la France rurale est tellement délaissée que ses problèmes sont isolés du reste du territoire national. Alors qu’il serait urgent de dépasser les oppositions entre villes et campagnes, vous ne recherchez plus de réponses globales concernant l’aménagement du territoire : après que le CIADT de septembre ait été spécifiquement consacré à la ruralité, le suivant, trois mois après, a occulté complètement cette question. La solidarité nationale promise en septembre est enterrée en décembre. Le Gouvernement a certes confirmé son soutien de principe à quelques projets structurants, mais il a surtout confirmé sa volonté de ne pas les financer et d’en déléguer la charge aux collectivités territoriales. Est-ce indifférence devant la demande d’égalité qui monte de la France rurale, irresponsabilité en matière de solidarité nationale, inconséquence ?

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Tous ces territoires restent confrontés à la question de leur développement économique. Leurs habitants aspirent à ce que leurs régions vivent. Ce devrait être notre objectif, mais force est de constater qu’en cédant en juin dernier, à Luxembourg, aux chants des sirènes libérales, le Gouvernement s’est résigné à transformer le monde rural en espaces naturels aseptisés. Certes, l’agriculture n’est plus l’activité principale dans les territoires ruraux, mais parce qu’elle en est encore « le cœur battant », vous n’aviez pas le droit d’engager le pays dans un programme de destruction des dernières structures familiales, à peine six mois avant de débattre d’une loi censée favoriser le développement du monde rural. La démission de Luxembourg est une porte ouverte à la spéculation foncière et la concentration capitaliste des terres.

Des grands mots ? Pas du tout. L’introduction de ce « paiement unique par exploitation » permettra aux propriétaires fonciers de toucher des aides sans lien avec une quelconque production. En prenant en compte la baisse des prix, il s’agit d’un véritable soutien public à l’abandon des terres et à l’extinction progressive de l’agriculture en France. En considérant que ces aides découplées seront versées sur un montant de référence correspondant aux aides reçues pendant la période 2000/2002, il ne reste plus grand-chose des atours environnementalistes de la réforme de la PAC. Les exploitations intensives qui touchent beaucoup d’aides aujourd’hui continueront à en toucher autant, les exploitations extensives de montagne et des marges du Massif Central auront les miettes.

Les conséquences de cette réforme sur le marché foncier seront incalculables. La valeur marchande des terres sera aussi fonction, désormais, du montant des aides qui leur sont attachées. C’est un boulevard pour la spéculation foncière et la hausse du prix des terres notamment dans les régions où l’agriculture est aujourd’hui la plus développée. L’installation de jeunes agriculteurs en sera entravée : seuls les agriculteurs déjà richement dotés pourront acquérir ces terres, et puis, par nécessité économique, prendre un statut de société. Nous nous orientons vers un système agricole capitaliste qui emboîte le pas aux pays du groupe de Cairns favorables à une libéralisation à outrance.

Les militants politiques et syndicaux du monde rural revendiquaient naguère « la terre à ceux qui la travaillent ». Ce modèle d’une agriculture familiale, que d’autres appellent aujourd’hui, édifiant pléonasme, « agriculture paysanne », est encore le nôtre, parce qu’il est le moins inégalitaire et le mieux à même d’assurer un développement économique durable. Privilégier de petites et moyennes exploitations, c’est détruire moins d’emplois et mieux respecter l’environnement.

Avez-vous décidé, Monsieur le ministre, de tourner définitivement le dos à ce modèle agricole ?

L’agriculture n’est pas la seule activité en zone rurale et le développement des campagnes passe aussi par le développement de l’industrie ou des services.

Or, le secteur agroalimentaire fera les frais des évolutions du marché agricole. La réforme de la PAC aura aussi des conséquences sur toute la filière agroalimentaire : le secteur coopératif en sera fragilisé. Le reste du secteur privilégiera avant tout le profit, et comme vient de le faire la société Doux en Bretagne, n’hésitera plus à déserter la France pour les grandes propriétés des pays du groupe de Cairns ou d’Europe centrale.

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Les autres secteurs industriels continueront de faire les frais du repli de l’Etat : tant que rien ne facilitera le crédit aux entreprises ou l’assainissement des rapports entre les sous-traitants et leurs donneurs d’ordres, je crains que nous ne puissions espérer aucun développement industriel en France, a fortiori en zone rurale.

Reste le mirage des nouvelles technologies. Je parle de mirage, car à force de laisser nos industries de télécommunications abandonner leurs missions de service public, nous ne sommes pas près de bénéficier en zone rurale des services de téléphonie mobile et d’internet à haut débit, sans lesquels aucune nouvelle industrie ne s’implantera.

M. Jean Dionis du Séjour - Douteux. Douteux.

M. André Chassaigne - Sans vivier industriel ou agricole, les activités de services ne pourront se développer, à moins de faire de nos territoires ruraux de simples parcs d’attraction, ce que personne ne veut dans nos campagnes.

La discussion de ce projet aurait dû montrer qu’il ne s’agit pas de céder au fatalisme, et que nous pouvons espérer pour nos campagnes.

Et nous discutons de mesurettes et de dispositions techniques sans cohérence.

Nous ne voulons pas imaginer que l’indigence de ce projet résulte d’une décision politique réfléchie. Les syndicats et les organisations agricoles, les associations d’élus ruraux, les associations intéressées par le développement rural auraient pu l’enrichir. Ils n’ont semblent-ils pas été entendus, à supposer même qu’ils aient été consultés.

En outre, le volet agricole de ce texte a été remis à une hypothétique nouvelle loi d’orientation agricole en 2005. Il est donc isolé de la problématique globale de développement local que ce projet était censé développer ! Comment peut-on parler d’agriculture lorsque l’on débat du développement rural ? Le saucissonnage de ce débat est aberrant et témoigne de la vacuité de votre politique pour le monde rural.

En outre, si l’on excepte quelques exonérations fiscales supplémentaires, sans compensation pour les collectivités locales, il n’est pas prévu de lâcher un euro pour des territoires en grande difficulté quand leur développement exigerait au contraire d’en appeler à la solidarité nationale.

Ce projet ne vise qu’à accompagner les mutations socio-économiques actuelles et en aucun cas à favoriser un développement durable des territoires ruraux. Il respire la résignation.

M. Hervé Mariton - Et vous, le désespoir.

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M. André Chassaigne - Les multiples décisions gouvernementales de fermeture de services publics illustrent le renoncement des autorités publiques quant à l’aménagement du territoire. Les privatisations, les ouvertures de marché accentuent la concurrence et réduisent les interventions publiques..

Toute fermeture nouvelle de services hospitaliers…

M. Jean Auclair - Merci pour les 35 heures !

M. André Chassaigne - C’est curieux, cette obsession… Toute fermeture d’école, de bureau de poste condamne davantage le développement rural. Il eût été judicieux de proposer un moratoire or, depuis deux ans, nous assistons plutôt à l’accélération du démantèlement des services publics. Là, vous jouez « gros bras ».

M. Jean Auclair - Pas autant que M. Jospin.

M. André Chassaigne - Dans ces conditions, aucune famille ne s’installera en zone rurale.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Très bien.

M. André Chassaigne - L’attractivité du monde rural et le maintien d’une population jeune exigent aussi une offre culturelle que les services de l’Etat désormais délaissent. Les festivals d’été disparaissent, les cinémas ont toujours plus de difficultés à survivre.

La demande est pourtant forte pour habiter à la campagne, mais la faiblesse de l’offre locative ne permet pas d’y répondre. Le danger est grand de ne favoriser que les couches moyennes et supérieures et de rejeter nos concitoyens aux revenus modestes dans les ghettos urbains. Le retour des retraités dans les campagnes dont ils sont originaires, l’arrivée de populations, notamment d’Europe du nord, en quête d’une meilleure qualité de vie, renforcent ce problème.

Ainsi, des mesures doivent être prises pour permettre aux collectivités locales et aux OPHLM de développer une offre de logements sociaux en nombre suffisant. Cela suppose de relancer les aides à la pierre et de financer des aides nouvelles. Les moyens manquent pour rénover le bâti existant et limiter le mitage de l’espace communal.

Dans ce domaine du logement comme dans bien d’autres, les décisions du Gouvernement pèseront sur le devenir des territoires ruraux.

Loin de chercher à ralentir les évolutions économiques et sociales à l’œuvre dans nos campagnes, ce projet semble même les accélérer : certains articles concernant l’agriculture ne cherchent qu’à faire sauter les verrous législatifs à l’agrandissement des exploitations, et donc à précipiter l’accumulation capitaliste et foncière dans nos campagnes, ce qui est inacceptable.

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Ce projet ne répond donc ni aux promesses du Gouvernement, ni aux attentes de nos concitoyens. En aucun cas il ne constitue une chance pour le monde rural. Je vous invite donc à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Mariton - Notre collègue vient de nous démontrer qu’il y avait matière à débattre. Vous vous êtes livré avec beaucoup de conviction, Monsieur Chassaigne, à une intéressante description… mais quel désespoir !

Vous et vos amis socialistes, que proposiez-vous hier, que proposez-vous aujourd’hui ? Des structures, toujours plus, là où nous voulons encourager les initiatives ; des méthodes fumeuses là où nous préférons faire simple ; des contraintes là où nous préférons des solutions ; le désespoir et le mépris là où nous préférons la confiance ; l’incantation là où nous préférons le résultat.

Vous avez évoqué l’école. Dans ma circonscription, rurale s’il en est - sa plus petite commune a un habitant - l’école à classe unique d’une petite commune avait fermé il y a quelques années à l’initiative d’un gouvernement socialiste. Elle a rouvert à la dernière rentrée. Notre volonté et nos résultats sont les mêmes s’agissant du service au citoyen, par exemple avec la résorption des zones blanches en téléphonie mobile ou le développement d’ADSL.

Certes, vous n’êtes pas toujours de mauvaise volonté. Nous sommes minoritaires dans nos camps politiques respectifs, mais la différence, c’est que nous, nous arrivons à nous faire entendre. La gauche, dans sa majorité, ne croit pas au monde rural (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C’est pour elle un mal nécessaire auquel il faut survivre le temps d’une majorité. Les rares d’entre vous qui y croient ne sont pas entendus.

Nous, nous prenons l’initiative. Il n’y a pas de méthode miracle. Du moins proposons-nous des solutions et nous engageons-nous à des résultats. Il faut débattre de ce projet. C’est pourquoi l’UMP votera contre cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Perez - Notre collègue Mariton a dû se laisser distraire. Autrement il aurait évité ces contrevérités et ces propos infâmants pour les élus ruraux. S’il avait écouté M. Chassaigne, il aurait entendu que ce texte, qui a suscité l’espoir, déçoit aujourd’hui : il est loin des conclusions du CIADT et ne promet aucune solidarité nationale. Il brasse de l’air : dépourvu de moyens financiers, il ne porte aucune ambition pour l’aménagement du territoire et le développement rural. Fait de mesurettes, pâle et sans saveur, il respire la résignation. Le groupe socialiste votera donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M.JeanLassalle - Pour les mêmes raisons qu’à propos de l’exception d’irrecevabilité, le groupe UDF votera contre (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. le Ministre de l’agriculture - Merci, cher André Chassaigne, d’avoir évoqué le Livradois cher à Alexandre Vialatte. Merci pour votre conviction et pour votre passion pour le monde rural. Cela dit, je ne partage pas du tout votre vision de la politique agricole européenne. Vous la présentez comme ultralibérale. M. Lula da Silva, au nom du Brésil, et bien d’autres pays ont précisément dit le contraire à Cancùn. Nous devons donc défendre ce modèle européen fondé sur des exploitations familiales, des productions de qualité et le développement rural, auquel une conférence était consacrée il y a quelques semaines à Salzbourg. La réforme de la politique agricole commune aboutira d’ailleurs à renforcer son deuxième pilier, le développement rural.

Depuis dix-huit mois, nous avons singulièrement accru les moyens de la politique agricole dans les zones les moins favorisées - augmentation des indemnités compensatoires du handicap naturel, augmentation de 70 % de la prime herbagère agro-environnementale. En ce qui concerne l’élevage, nous avons obtenu à Luxembourg le maintien du couplage à 100 % de la PMTVA réclamé par l’ensemble des organisations d’éleveurs, notamment dans le Massif central.

Entre le CIADT de septembre et celui de décembre, il y aurait eu, dites-vous, un déménagement du territoire et les annonces n’auraient pas été suivies d’effets. Mais nombre de mesures sont entrées en application depuis le CIADT de septembre. La loi de finances pour 2004 exonère les ZRR de l’impôt sur les sociétés, autorise un amortissement accéléré des investissements immobiliers et en paraboles satellitaires et ouvre le bénéfice du FCTVA pour la téléphonie mobile.

Le décret du 28 novembre 2003 a défini les critères des zones médicalisées et les modalités de la prime d’installation des médecins en milieu rural. L’expérimentation des schémas de services publics dans les départements a commencé. 44 millions d’euros sont prévus pour la téléphonie mobile et 100 millions d’euros pour le haut débit.

Le CIADT de décembre a décidé la réalisation de plusieurs infrastructures ferroviaires et routières attendues de longue date.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous invite à rejeter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

[…]

La séance est levée à 19 heures 30.

Pour en savoir plus : Compte-rendu analytique sur le site de l’Assemblée Nationale

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