26-01-2010

Les actions de L’AFD contre le changement climatique

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Mercredi 20 janvier 2010 _ Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 30

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jean-Michel Debrat, directeur général adjoint de l’Agence française de développement (AFD) sur ses actions en matière de lutte contre le changement climatique et sur ses difficultés rencontré lors d ela mise en œuvre, tant avec les États qu’avec les entreprises.

(…)

M. André Chassaigne. Monsieur le directeur, vous avez présenté l’AFD comme un vecteur de l’influence française et justifié son intervention de manière surtout utilitaire. Elle aide, avez-vous dit, à ce que la France pèse davantage dans les négociations internationales. J’aurais songé à des motivations plus éthiques de votre action, s’agissant de choix essentiels pour l’avenir de la planète. Or vous vous êtes plutôt exprimé en banquier au service de la diplomatie française.

Dans ses décisions de prêts, l’AFD s’appuie-t-elle sur les travaux de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ?

S’agissant de la forêt, on a bien senti à Copenhague que le texte était quasiment bouclé et qu’il devrait être finalisé dans les mois à venir. Mais ce qui n’a pas été décidé, ce sont les modalités d’intervention. Pour vous, quelles contreparties doit avoir l’aide apportée aux pays qui possèdent encore de vastes forêts, formidables puits de carbone ? Vous avez par ailleurs indiqué qu’un « mixage » des fonds était nécessaire, avec l’apport de capitaux privés. Dans votre esprit, cela signifie-t-il que certains pays – les États-Unis ont ce projet – pourraient acheter des crédits carbone pour accompagner la gestion forestière de pays comme ceux du bassin du Congo en Afrique, et les utiliser en contrepartie du maintien chez eux d’activités fortement polluantes ?

Le « mixage » des fonds supposant de faire largement appel aux banques, la recherche de la rentabilité financière ne risque-t-elle pas de l’emporter sur l’intérêt général pour l’avenir de la planète, qui passe par la préservation des puits de carbone que constituent les forêts ? Au-delà, n’y a-t-il pas un risque d’écarter les populations autochtones qui, pourtant, par une gestion ancestrale de la forêt, avaient réussi jusqu’à il y a peu à préserver les écosystèmes ? Les ravages causés aux grands espaces forestiers, avec les conséquences catastrophiques que l’on connaît, ne sont pas de leur fait, mais de celui de grands groupes représentant d’importants intérêts économiques. Ne risque-t-on pas d’accentuer les déséquilibres actuels en servant les intérêts financiers de ces groupes, au détriment de l’humain, lequel devrait pourtant prévaloir ?

(…)

M. Jean-Michel Debrat. « Un banquier au service de la diplomatie française », avez-vous dit, monsieur Chassaigne. Je n’avais jamais formulé les choses ainsi, mais je ne récuse pas l’expression. Après tout, c’est une noble tâche !

Mon exposé était consacré à l’« enjeu climat », mais il est bien évident que notre cœur de métier reste le développement. L’AFD accorde au total 6,5 milliards d’euros de financement par an : sur cette somme, seuls 2 milliards sont consacrés à la lutte contre le changement climatique. Cela étant, le monde bouge, et nous ne pouvons rester en retrait à observer les choses !

Dans le cadre de nos fonctions à l’AFD, nous ne sommes pas des chercheurs, même si nous pouvons, individuellement, avoir eu une formation en ce sens. Bien que ce ne soit écrit nulle part, nous jouons de fait un rôle d’assembleur. Ainsi, l’agro-écologie, dont vous a parlé Denis Loyer, est une activité du CIRAD financée par l’AFD.

Nous sommes en symbiose intellectuelle avec nos collègues chercheurs. Nous formons une communauté de personnes passionnées par le développement et par la recherche ; la plupart des initiatives qui retiennent l’attention de l’un ou l’autre d’entre nous finissent par donner lieu à des projets. Nombre d’idées que nous professons sont empruntées à nos collègues chercheurs. Je reconnais que nos liens pourraient être mieux structurés, mais c’est très compliqué à réaliser. Un financier et un chercheur peuvent s’entendre ; toutefois, la prudence reste de mise, car le chercheur peut avoir le sentiment que le financier profite de sa position pour infléchir ses orientations de recherche.

D’autre part, la réorganisation actuelle de la recherche française montre combien le sujet est complexe. La France dispose d’immenses ressources scientifiques : l’IRD comme le CIRAD sont de véritables bijoux. Nous en sommes conscients, et y faisons chaque jour appel. Toutefois, il est indéniable qu’une organisation plus efficace permettrait de mieux les valoriser.

Quelles contreparties demandons-nous pour l’aide apportée en matière de forêts ? Il y a dix ans, nous avons décidé de nous adresser aux entreprises forestières – ce qui présentait un risque car on pouvait nous accuser de participer à l’exploitation de la forêt. Nous avons fait le pari que, si nous parvenions à les convaincre d’introduire dans leurs méthodes d’exploitation une dimension de durabilité, il était légitime de les financer et de leur attribuer des concessions correspondant à la part d’intérêt général qu’elles acceptaient de prendre en considération. Les grandes ONG environnementalistes ont fini par approuver notre démarche et ont décidé de la soutenir. La prochaine étape sera de convaincre les petits exploitants forestiers nationaux de faire de même.

(…)

M. André Chassaigne. Pouvez-vous nous présenter brièvement le bilan de la gestion de la forêt en France ?

M. Denis Loyer. La France a un puits de carbone positif, c’est-à-dire qu’elle séquestre davantage qu’elle n’exploite. Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, nous avons démocratiquement pris la décision collective d’exploiter davantage notre forêt. En conséquence, selon nos simulations, notre puits diminuera légèrement, puis il se reconstituera.

En outre, à Copenhague, la France a proposé aux autres pays européens de partager son puits de carbone avec ceux qui ont choisi d’exploiter davantage leur forêt. Bref, la France a été exemplaire. Malgré cela, les négociations sont toujours bloquées : il faut faire fonctionner la « bulle européenne », comme avant la réunion de Poznan.

M. Jean-Michel Debrat. S’agissant de l’eau, je ne peux qu’abonder dans le sens de Mme Labrette-Ménager : comme je vous l’ai dit, l’essentiel de notre activité en matière d’adaptation porte sur ce point.

S’agissant de l’évaluation sociale, vous avez raison. Comme il était question d’une négociation sur le climat, j’ai mis l’accent sur les éléments qui l’ont influencée. Il ne s’agit cependant que d’un paramètre parmi d’autres.

Fondamentalement, nous faisons du développement. Il se trouve que nous pouvons évaluer nos actions également du point de vue climatique, dans la perspective d’une évolution de notre activité en ce sens. Cependant, tous nos projets, sans exception, font l’objet d’une analyse complexe, utilisant de multiples indicateurs. Ces dernières années, nous avons ajouté la mesure de l’effet carbone, afin de vérifier que nos actions en matière de développement étaient bien compatibles avec la lutte contre le changement climatique. Nous n’avons toutefois jamais perdu de vue notre mission première.

S’agissant de la RGPP, il avait été prévu de transférer à l’AFD les financements que le ministère des affaires étrangères accordait aux ONG. L’année passée, nous avons donc, dans un esprit de continuité et sous la responsabilité du ministère, mis en œuvre les changements de procédure et les changements comptables, ce qui nous a permis de réaliser la réforme sans heurts, hormis les inévitables décalages de calendrier de trésorerie.

Nous sommes en train d’examiner avec les ONG les suites à donner à la réforme. Les ONG souhaiteraient se rapprocher de nous et être associées à nos projets de développement. Quant à nous, nous attendons de leur part une moindre dispersion et une vision à plus long terme. Il reste à concilier les différentes attentes.

Il est trop tôt pour dresser un bilan. Tout ce que l’on peut dire pour l’instant, c’est que la réforme n’a pas eu de conséquences négatives sur le financement des ONG. Cela dit, nous essayons de leur faire prendre une part plus importante à nos discussions stratégiques. Par exemple, nous allons coordonner à Haïti un ensemble de projets, dont certains sont issus de l’AFD et les autres des ONG. De même, celles-ci nous ont accompagnés à Copenhague, où nous avions le privilège de faire partie de la délégation officielle ; nous les avons informées des négociations en cours et en avons discuté avec elles.

Quant au pilotage de la lutte contre le réchauffement climatique, je partage l’inquiétude du ministre ! On peut difficilement confier les choses à l’ONU. Il est clair que l’on ne peut pas discuter à 190, ni même à 30, sur ce sujet. À Copenhague, le président de la République a dû rappeler qu’il ne s’agissait pas d’un colloque où l’on pouvait déclarer : « Le climat, c’est très important, nous avons l’intention d’agir » !

À titre personnel, je reste convaincu que les conférences des parties sont le seul moyen de fonder une légitimité pour de futurs accords. À Copenhague, les Européens s’y sont très mal pris : ils ont fait leurs arbitrages internes à l’avance. Quand ils ont soumis leurs propositions aux autres pays, ceux-ci ont eu beau jeu de répondre : « De quoi vous mêlez-vous ? À quel titre voulez-vous porter l’avenir de la planète sur vos épaules ? » Nous nous sommes ainsi trouvés en porte-à-faux, parce que nous nous étions mis d’accord sur une posture, et non sur une position de négociation.

De surcroît, l’Union européenne a été incapable d’opposer un interlocuteur unique au Premier ministre chinois ou au Président américain. Le président de la Commission n’est pas venu ! Bref, l’Europe en tant que telle, porteuse d’un mandat et de propositions, et susceptible de négocier, n’avait pas d’existence : ce fut un désastre !

(…)

M. André Chassaigne. Combien de pays européens ont réellement signé ?

M. Jean-Michel Debrat. Je l’ignore.

(…)

M. Jean-Michel Debrat. Je voudrais revenir sur la relation entre développement et climat, car elle suscite un fort débat interne. L’AFD ne délaisse pas le développement au profit du climat : le climat est un facteur de développement. Nous avons simplement ajouté un nouveau paramètre pour prendre nos décisions.

Par ailleurs, nous ne nions pas travailler avec les grandes entreprises. Toutefois, nous n’avons pas vocation à servir leurs intérêts. J’ai accompagné Anne Lauvergeon au Niger, car AREVA y a remporté un contrat qui a été jugé équitable. Pour exploiter le nouveau gisement, AREVA aura besoin d’électricité, de routes et de camions. Nous avons persuadé l’entreprise de se préoccuper non seulement du site, mais de l’ensemble du district, et de devenir ainsi un acteur du développement du pays : c’est la meilleure façon d’assurer sa tranquillité pour les quarante prochaines années !

M. André Chassaigne. C’est précisément ce qu’Anne Lauvergeon nous a dit !

M. Jean-Michel Debrat. Anne Lauvergeon m’a emmené au Niger afin de discuter avec les autorités nigériennes. La France avait deux visages : une grande entreprise énergétique et une agence de développement. Nous avons dit aux responsables d’AREVA qu’il ne fallait pas songer uniquement à leurs personnels, mais qu’ils devaient participer à la politique nationale de formation professionnelle du Niger. Par ailleurs, si AREVA faisait appel à des sous-traitants locaux, ce qui serait une bonne chose, il faudrait renforcer les fonds propres des PME locales, ce qui est de notre ressort, et leur accorder des prêts. Nous refusons de le faire à la place des banques nigériennes, mais nous sommes prêts à apporter une garantie supplémentaire aux dossiers trop fragiles. Bref, nous intervenons sur des questions qui concernent le développement du Niger autant qu’AREVA. De même, nous avons discuté la semaine dernière avec les dirigeants de Total Afrique, sur des sujets similaires.

(fin de son intervention)

Pour en savoir plus : site de l’AN

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